ZAYATUT (le livret) 
Chants de bénédiction



C’est dans un contexte historique troublé que Mandalay fut fondée en 1857 par le roi Mindon Min. Le royaume birman était en déclin depuis le XVIIIe siècle ; le pays était alors déchiré par des guerres ethniques sécessionnistes et ses richesses convoitées par les puissances coloniales, en particulier l’Empire britannique. Plusieurs guerres anglo-birmanes avaient déjà appauvri et dépecé le pays et réduit considérablement la capacité de résistance des Birmans. Bien que privé des ressources des régions du centre et de la côte, administrées par les Britanniques depuis leurs succès militaires, le Nord tenta néanmoins de se réorganiser. Le tracé fonctionnel « à la chinoise » de la nouvelle capitale, ainsi que la construction d’une puissante forteresse, stratégiquement située près du fleuve Ayeyarwady, vont faire illusion pendant le règne de Mindon Min. Le déménagement de la cour, de l’ancienne capitale Amarapura vers la nouvelle ville, n’eut lieu qu’en 1861, lorsque le nouveau palais et l’impressionnante forteresse au milieu de laquelle il est situé, furent achevés. L’immense enceinte carrée, entourée d’une profonde douve et protégée d’épaisses murailles crénelées, renfermait une ville dans la ville. En 1885, sous le règne du roi Thibaw, le successeur de Mindon Min, Mandalay, la « cité dorée », « le centre de l’univers », tomba aux mains des Anglais sans avoir réellement résisté. D’abord pillée, elle devint ensuite une garnison de province pour les troupes anglaises et indiennes du Raj. Quant au dernier roi birman, il fut exilé en Inde, où il mourut dans l’oubli et le dénuement.

D’un point de vue purement politique, la nouvelle capitale n’eut donc qu’une influence de très courte durée, mais, sur le plan culturel, son rayonnement allait connaître un essor jusqu’ici inégalé. En effet, si le pôle économique et culturel du Myanmar s’est aujourd’hui déplacé vers la capitale actuelle, Yangon (anciennement Rangoon), à quelque sept cents kilomètres plus au sud, Mandalay est resté le centre incontesté des arts traditionnels et de l’ancienne culture birmane. Ce statut, Mandalay le doit également aux nombreuses communautés bouddhiques qu’elle héberge dans ses monastères, parmi les plus prestigieux du pays, mais aussi au fait qu’elle matérialise en quelque sorte l’âme birmane et toutes ses résistances. 

La frontière entre la musique dite populaire et la musique savante ou classique est parfois bien ténue. Au Myanmar, on distingue des musiques d’intérieur, intimistes, jouées sur des instruments tels que la harpe ou la flûte, en solo ou en accompagnement de chants, et des musiques jouées, à l’extérieur, par de grands orchestres tels les hsaing waing. Ces ensembles, composés pour l’essentiel de tambours (paq-waing), de carillons de gongs (kye-waing), de flûtes (pa-lwé), de hautbois (hneh), d’un xylophone (pattala) et d’instruments à cordes (luth, …), jouaient autrefois souvent dans l’enceinte du palais royal un répertoire de cour. Aujourd’hui, les hsaing waing se produisent à l’occasion des fêtes religieuses, de représentations théâtrales ou de cérémonies officielles, et leur riche répertoire s’est quelque peu adapté à la demande. De même, l’ancienne tradition des duos chantés de harpe et de luth, ou de harpe et de percussions, à l’origine réservés à une élite sociale et à la noblesse, se sont depuis le XXe siècle fortement popularisés vers les classes moyennes citadines, devenant paradoxalement emblématiques d’une culture « populaire » traditionnelle, s’identifiant au nord du pays et en particulier à l’ancienne capitale Mandalay.



La harpe birmane
saung gauk
Le répertoire classique birman comporte plusieurs centaines de chants répertoriés dans deux recueils : le Maha gita et le Gita wi htou theni. Les musiciens puisent abondamment, et avec une grande liberté, dans ces inestimables sources pour, soit interpréter d’anciens chants, soit s’en inspirer pour décliner de nouvelles compositions basées sur la tradition. Ces chants sont généralement accompagnés, pour ce qui concerne la musique de chambre, de la célèbre harpe birmane saung gauk, mais également du xylophone pattala ou de la flûte pa-lwé, voire plus récemment par des instruments importés d’Occident, violon, piano électrique, … 

L’origine de la harpe en Asie remonterait au IIe siècle avant J.-C., lorsqu’elle apparut en Inde, importée probablement d’Egypte ou d’Assyrie. La harpe arquée se propagea dans toute l’Asie, jusqu’au Xe siècle peut-être, avant de disparaître définitivement des pratiques musicales, sauf au Myanmar où elle survécut avec bonheur jusqu’à nos jours.
Cet instrument magnifique, aux sonorités très douces, est composé d’une caisse de résonance naviforme, elle-même surplombée d’un manche fortement arqué et ouvragé qui comprend treize cordes en soie. Très raffiné, il présente l’avantage d’être léger et donc facilement transportable. On retrouve des représentations de la harpe saung gauk entre autres sur les fresques de Pagan et celles d’Angkor au Cambodge (1). A l’origine, la harpe n’avait que sept cordes, mais au cours des siècles, et particulièrement depuis le XXe siècle, l’instrument connut une évolution qualitative : sa caisse de résonance se perfectionne et le nombre de cordes (16 cordes, dans le cas des instruments enregistrés) augmenta. Cet instrument soliste par excellence accompagne généralement le chant et, comme c’est le cas pour cet enregistrement, peut être lui-même accompagné par la rythmique de petites cymbales métalliques (hsi) et de cliquettes en bois (wa).  

Saung Mu Mu Thien et sa fille Saung Ma Cho Mu Winn1 jouent régulièrement lors de fêtes données à l’occasion d’une naissance, de fiançailles, de rites religieux ou de cérémonies funéraires. Leur répertoire, selon les circonstances, est tantôt personnel, tantôt composé de vieux chants datant des guerres coloniales ou de mélodies plus populaires. Les musiciennes se produisent à la demande, en général en duo, l’une jouant de la harpe et chantant, l’autre donnant la rythmique, les duos de harpes étant plus rares.

De telles prestations, vu leur coût et à cause de la situation économique critique dans laquelle se trouve la grande majorité des Birmans aujourd’hui, restent toutefois réservées à une classe moyenne, citadine et privilégiée.  


1. Saung Ma Cho Mu Winn, lors de ces enregistrements, avait quinze ans et poursuivait sa scolarité au lycée. Sa mère Saung Mu Mu Thien enseigne l’art de la harpe et vend également des instruments de musique dans son échoppe du quartier très fréquenté de la Paya Setkyathiha (photo de couverture) à Mandalay.    


 
le CD: les titres
  1. Zaya Tut  - "Bénédiction"
    Saung Mu Mu Thien commence sa prestation en bénissant ses auditeurs et la population de Mandalay. Elle utilise l’ancienne langue sacrée, le Pali, dont se servent encore les moines. Ce chant, qui est de bon augure, souhaite réussite et succès. Il est habituellement chanté lors des cérémonies de noviciat et lors des fiançailles.
    Tous les chants de ce disque sont interprétés par Saung Mu Mu Thien, sauf les plages 3 et 7 chantées par sa fille Saung Ma Cho Mu Winn.
    La plage 4 est interprétée par les deux musiciennes. 

  2. Swedaw Kyo - "La dent de Bouddha"
    Kyo désigne les instruments à cordes, mais également un genre musical. Pour la circonstance, une longue introduction instrumentale précède ce chant. Dans la culture bouddhiste, on attribue des pouvoirs exceptionnels aux reliques du Bouddha. Ainsi, cette dent, ici chantée, brille de tous ses feux. 

  3. Wayzayanta - "Le Palais royal"
    L’évocation et la description du palais royal est en fait une allusion directe au paradis.
    La rivière (l’Ayeyarwady) et le palais y sont magnifiés, et la ville de Mandalay n’est pas en reste d’éloges non plus.
    « Du palais jusqu’à l’horizon, tout est parfait ».
    Ce chant est une composition de Mu Mu Thien. 

  4. Aungzay Paingzay   - "A notre succès"
    Ce chant récent proclame la réussite et la prospérité.
    La mère et la fille l’interprètent ensemble, ce qui est rare, mais une harpe seulement accompagne le chant.  

  5. Mandalay Taung   - "La colline de Mandalay"
    Ce chant évoque la beauté du panorama et des pagodes construites au pied de la colline de Mandalay. 

  6. San Nwae U Le début de l’été Ce vieux chant rappelle qu’au début de l’été (fin février, début mars), un petit vent souffle délicatement les senteurs des fleurs. Les chants des oiseaux se confondent. C’est un moment merveilleux pour les amoureux. 

  7. Naan Bon Tiha Bwe  - "Le trône royal"
    Ce trône n’a pas de prix, tant il est couvert de rubis et de diamants. Il s’agit en fait du socle d’une statue du Bouddha. Le chant évoque aussi de somptueux cadeaux offerts au roi par sa cour.
    Chant interprété par Ma Cho Mu Winn

  8. Ananda Napia   - "Les cinq Bouddha"
    Ce vieux chant a une fonction pédagogique : il explique comment honorer et prier le Bouddha, ses professeurs, les moines, ses parents. 

  9. Htuang Yaung Nay  -"L’obscurité"
    Ce chant évoque les profondeurs des douves du palais. 

  10. Lumanaw   -"L’imagination" (l’esprit créatif)
    “ll fait beau, ni trop chaud, ni trop froid. La lumière est magnifique, l’eau coule des sources et des chutes. Les fleurs sont odorantes…”