Traditions agraires andines
par Carole de Hemptinne-Stöcklin 


Pour comprendre les traditions agraires actuelles, il est nécessaire d’étudier les croyances et les pratiques rituelles de l’époque précolombienne dont elles sont les héritières, en les replaçant dans leurs contextes géographique, climatique et historique.
Nos connaissances des anciennes civilisations du Pérou reposent principalement sur l’archéologie mais aussi sur les chroniques espagnoles rédigées immédiatement après la conquête et sur les études ethnographiques plus ou moins actuelles, qui montrent que des traditions très anciennes se sont parfois maintenues, sous le vernis de la religion catholique imposée par les Espagnols.

L’aire andine 
Pour les archéologues et les anthropologues, la région andine correspond au territoire de  l’ancien empire inca au maximum de son extension, au moment de l’invasion espagnole au XVIème siècle.
Le Pérou actuel se situe dans la partie centrale de cet immense empire qui allait de Quito en Equateur jusqu’en dessous de Santiago au Chili.
L’environnement dans lequel les sociétés andines se sont développées depuis des siècles est extrêmement hostile : pays de contrastes, le Pérou réunit une grande variété de milieux écologiques, chacun avec ses caractéristiques et surtout son climat propre.La côte est un désert entrecoupé de vallées où coulent des fleuves alimentés de façon saisonnière. Les crues sont tributaires des pluies qui tombent en altitude.  Entre la côte et la puna, ce haut plateau herbeux culminant entre 3.800 et 4.500 m, s’étend la Cordillère des Andes, où de nombreux microclimats se succèdent sur des espaces assez réduits.

Cette chaîne de montagnes est bordée à l'Est par les Andes amazoniennes au relief très accidenté, dont les versants sont couverts d’une forêt tropicale s’étendant de 3.500 m jusqu’au niveau de la mer.
Carte Prou doc

























 

 

Naissance et développement des sociétés andines
Nomades, les populations andines primitives complétaient leur alimentation constituée de poisson et de viande animale par la cueillette sélective de nombreuses plantes. Les études botaniques et archéologiques montrent que la culture de plus de 50% des plantes indigènes (maïs, haricot, calebasse, cacahuète, quinoa*, pomme de terre…) était pratiquée à côté d’une activité d’élevage de camélidés (lama et alpaga) et du cobaye dès le deuxième millénaire avant notre ère.
Petit à petit, pour diversifier leur alimentation par l’agriculture et réduire les menaces pesant sur les récoltes, les agriculteurs andins ont imaginé des solutions aux problèmes liés aux réalités géographiques et climatiques de leur environnement caractérisé notamment par un déséquilibre entre eau et terre cultivable.
Avoir accès à l’eau et en assurer le contrôle impliquent des formes de travail, d’organisations sociales et des conceptions religieuses particulières.
Dès 1.800 avant J.C., on assiste à un mouvement cyclique dans lequel s’alternent le développement d’ensembles politiques et culturels importants s’étendant sur toute la zone andine et l’éclatement de ceux-ci en formations locales ou régionales plus petites, sans que soient détruites pour autant les anciennes solidarités locales.
Au premier millénaire avant notre ère (Civilisation Chavin*), la société andine apparaît divisée en classes sociales: des agriculteurs se chargent du travail agricole proprement dit, tandis que des « spécialistes » de la prévision météorologique, de l’irrigation, des cycles agricoles et des cérémonies religieuses, mettent leur savoir-faire de techniciens du ciel et de la terre, ainsi que les services religieux qui en célèbrent les divinités, au service des agriculteurs.
Ceci devient possible grâce à un surplus de la production agricole. Cette élite instaure et contrôle en outre des échanges suivis entre des régions produisant des produits différents, en particulier entre la côte et la forêt.

La transformation agricole du paysage caractérise les sociétés de l’époque des développements régionaux (400 avant J.C. - 700 après J.C.). L’extension des limites des terres réservées à l’agriculture va de pair avec l’expansion d’états conquérants.

Avec la Culture Wari (600 – 1.100 après J.C.), on assiste à la naissance du premier empire andin : les systèmes hydrauliques ruraux et urbains se perfectionnent et un système de contrôle et d’organisation de la production d’aliments et de matières premières à grande échelle est créé.

Entre 1.100 et 1.420 après J.C., des systèmes d’irrigation étendus et complexes ainsi que des sources diverses d’approvisionnement en eau sont utilisés, les processus de colonisation agricole prennent de l’ampleur et l’organisation sociale créée autour de l’agriculture devient plus complexe.

Avec l’empire inca (1.420-1.535 après J.C.), se met en place le développement le plus spectaculaire et le plus connu de l’agriculture andine. Avec un système avancé d’administration agricole, le contrôle de la force de travail, les Incas portèrent les niveaux de production de la terre jusqu’à des niveaux inconnus auparavant pour les sociétés andines.
 

Organisation du travail agricole à l’époque inca & économie andine préhispanique
Les Incas étaient à l’origine un groupe relativement humble et peu important, proche de la riche vallée de Cuzco, où ils s’installèrent et prirent le pouvoir après une progression lente et graduelle (à partir de 1.438 après J.C.).
L’expansion rapide de l’état inca trouva son origine dans un système économique pratiqué depuis longtemps dans les Andes, qu’il amplifia à un niveau plus large et diversifié.
On a longtemps cru que le Tahuantinsuyu* était un empire monolithe et unifié. On sait maintenant qu’il était constitué d’une mosaïque de peuples formant une société multiforme, hétérogène, à l’unité politique précaire.
L’économie andine traditionnelle se fondait sur la gestion de la main-d’œuvre, de l’énergie humaine dans le cadre d’un système de réciprocité, de redistribution et, dans une moindre mesure, d’échange.

A la base de l'organisation inca, se trouvait l'ayllu*, groupe de familles unies par des liens de parenté ou d'alliance, possédant un territoire dirigé par un chef, le curaca*. Bien antérieures à l’époque inca, ces communautés constituaient des groupes fermés et indépendants caractérisés par leur unité politique et sociale. Malgré leurs liens de parenté, réels ou fictifs, leurs membres se mariaient de préférence entre eux. Chaque ayllu possédait un terroir qui était réparti entre les familles suivant des règles précises afin d'être exploité tout en restant la propriété de la collectivité. La terre reçue n'était pas d'un seul tenant, mais était composée de différentes parcelles aux particularités écologiques spécifiques. Ainsi les familles avaient des ressources très diversifiées.  Des obligations mutuelles, des croyances et des traditions communes ainsi que le culte rendu aux mêmes divinités renforçaient la cohésion du groupe.

Il existait des collectivités qui unissaient plusieurs ayllus formant ainsi de véritables petits Etats qui se faisaient parfois la guerre pour acquérir de nouveaux territoires ou des pâturages.
Les Incas unirent ces nombreux petits Etats en une entité organisée et dirigée par un gouvernement central.

Le travail agricole nécessitait une entraide entre les membres de l’ayllu. Elle prenait la forme d'un échange de travail appelé ayni, qui s'exprimait lors des semailles et des récoltes. Celui qui avait reçu cette aide (ayni) se devait de la rendre dans de justes proportions à la demande du prestataire initial.
Cette réciprocité pouvait s'exprimer autrement: les hommes adultes et en bonne santé de l'ayllu veillaient à la culture des champs des vieillards, des veuves, des malades, des estropiés.
Au sein de l'ayllu, certaines réciprocités étaient constantes (familiales) et d'autres plus ponctuelles et précises (ethniques ou pluriethniques).

Les prestations communes en vue d'un ouvrage profitant à l'ensemble de la communauté (travaux d'intérêt public : canaux, réservoirs, chemins, ponts,...) constituaient la mink’a.

Chaque ayllu disposait en outre d’une forme de redistribution basée sur la prestation d’une quantité donnée d’énergie humaine, administrée par l’autorité: la mit’a. Cette main d’œuvre était destinée à produire des biens qui étaient ensuite redistribués entre les habitants et servait notamment à obtenir des produits difficiles d’accès qui étaient cultivés dans des zones lointaines ou dans des milieux où la population ne pouvait s’établir de façon permanente. 

Par leurs conquêtes, les Incas assimilèrent beaucoup d'institutions préexistantes. Ainsi, grâce à leur tolérance dans le domaine social et religieux, fut intégré plus facilement dans l'organisation de l'empire, après quelques adaptations, tout ce qui semblait utile : l'ayllu, le curaca, certaines coutumes et certains usages, fêtes, rites, …

L’arrivée des Espagnols au XVIème siècle provoqua la disparition du réseau de relations de réciprocité et de redistribution : les Incas de la vallée de Cuzco ne purent les maintenir, ce qui contribua à leur isolement. Cette crise ne fut pas si rapide au sein des groupes ethniques et les organisations andines continuèrent à fonctionner longtemps, bien que modifiées et affaiblies par le régime colonial.
 

Aperçu sur le « génie » des agriculteurs andins
L’approvisionnement en eau permettant le développement de l’agriculture a toujours été problématique dans les Andes :

  • la côte pacifique, la « costa »,  est désertique en raison d’un régime de pluies irréguliers ;
  • dans la « sierra » (montagne), les fleuves coulent au fond de précipices, laissant peu d’espace aux terres agricoles situées dans les vallées ;
  • dans la « selva » (forêt), il pleut par contre énormément et les problèmes sont créés par la pente prononcée des fleuves (Andes Orientales) et les inondations des zones de cultures situées sur les rives des fleuves de la basse selva. 

Les techniques agricoles ont certes évolué depuis l’époque précolombienne, néanmoins, les paysans andins utilisent toujours les mêmes types d’aménagements créés par leurs ancêtres.
Le travail de construction et d’entretien de ceux-ci est réalisé, comme par le passé, par le travail en commun des populations.

La culture en terrasses irriguées sur les versants des montagnes, technique utilisée dans les Andes centrales depuis le début de notre ère, se répand dans tout le Tahuantinsuyu* avec l’empire inca. Les champs sont de larges terrasses à dénivellation, délimitées par des murs de soutènement, des murs de surface ou des barrières de pâturages, d’arbustes et d‘arbres pour contenir l’érosion et régulariser la distribution de l’eau.

La culture en camellones ou waru-waru consiste à élever artificiellement des champs et de les entourer de systèmes de canaux, pour planter des tubercules. Ils se rencontrent principalement sur l’Altiplano. Ils permettent un meilleur drainage, une meilleure utilisation de l'eau, et protègent les cultures des inondations des fleuves ou du Lac Titicaca.

Les systèmes de qochas (bassins) consistent en dépressions naturelles ou artificielles et sont utilisés comme bassins à des fins d’irrigation. L'eau circule via des canaux, d'une qocha à l'autre ou vers les terres des environs. Les qochas évitent les gelées du sol de la puna, car l'eau absorbe la chaleur diurne et la restitue la nuit. Ils sont surtout utilisés pour la culture des tubercules, pour des pâturages ou pour pratiquer d’autres activités domestiques.

Les déserts de la côte pacifique étaient des champs bien cultivés grâce à un vaste système d'irrigation. Il s'agissait d'un réseau très vaste de canaux et d'aqueducs en pierre captant l'eau des montagnes où se trouvaient de grands réservoirs. La culture en wachaques consiste en l’utilisation de bassins creusés dans lesquels on cultivait le jonc et la totora*. L’eau de ces systèmes arrivait via des canaux ou provenait de la nappe phréatique.
 

Les divinités andines
La croyance en des puissances invisibles, intervenant de façon mystérieuse dans la vie des hommes, est profondément enracinée dans les Andes. Les dieux vénérés à l’époque préhispanique sont nombreux et hiérarchisés : puissants, ils sont susceptibles d’être influencés par le comportement des hommes, notamment au moyen des rites et cérémonies.
De sexe masculin ou féminin, les dieux sont les ancêtres mythiques, fondateurs et civilisateurs du groupe qui leur adresse sa vénération. La terre nourricière, les astres, les montagnes et ses lieux sacrés se situent au sommet d’un panthéon étendu et hiérarchisé. 

Encore aujourd’hui, les Aymaras* ont une conception de l’univers qui repose sur une division tripartite de l’espace temporel contenue dans les concepts d’Alax Pacha, Aka Pacha et Manqha Pacha (Ciel, terre et monde souterrain). Ces oppositions ne s’excluent pas nécessairement entre elles : les relations des humains avec les êtres de l’Alax pacha et du Manqha Pacha sont des relations de réciprocité et de dépendance mutuelle qui doivent être renouvelées constamment et de façon cyclique.

La religion inca se présente comme un ensemble de cultes naturistes, de croyances animistes, d’envolées théologiques et de cérémonies complexes et raffinées fortement teintées de magie. Les divinités sont souvent matérialisées et pérennisées par des pierres, des huacas, considérées comme le résultat de la pétrification d’ancêtres, ceux-ci étant également associés aux ruines, aux cavernes et aux endroits élevés de la montagne.

De manière générale, les divinités apparaissent sous une forme duale, tant par le sexe des personnages qui les représentent que par des attributs particuliers répartis par paires. Les paires divines, composées de deux divinités de sexe différent, sont en outre courantes dans la mythologie andine : citons notamment les époux Pachacamac (la terre qui ordonne) et Pachamama (la terre qui engendre), parents de deux enfants célestes, Inti le Soleil et Killa la Lune, enfants jumeaux toujours de sexe différent. Les Incas promurent Inti, le dieu Soleil, au rang de dieu d’empire, ancêtre de la dynastie, et l’imposèrent aux peuples soumis, sans pour autant interdire les religions locales.

Toutes les sources indiquent que les ancêtres font l’objet de culte fervent dans les Andes : les Mallquis  (cadavres sacrés ou jeunes pousses), les  Wamanis  (ancêtres mythiques demeurant sur les sommets montagneux), les Apus (ancêtres divinisés qui séjournent dans les montagnes) donnent la vie, en octroyant notamment aux hommes les bonnes récoltes… Pour attirer leurs bonnes grâces, il faut les nourrir, leur faire des sacrifices…Tous ces rites sont liés à la fécondité des femmes et la fertilité des terres.

Selon la croyance indigène tant quechua qu’aymara, Pachamama habite à l’intérieur de la terre, dans les régions des montagnes les plus inaccessibles, dans les lieux les plus désolés de la puna, où les êtres humains pénètrent rarement. Elle est considérée comme la créatrice de tous les fruits et plantes et est honorée comme la source de toute la civilisation matérielle. Tout ce qui arrive, de bon ou de mauvais dans les travaux agricoles, dans l’élevage, dans les affaires domestiques est attribué à son bon ou mauvais vouloir.

A l’époque inca, la déesse–terre Pachamama n’était pas la seule incarnation de la fécondité de la terre, il y avait aussi des « mères » particulières représentant des genres importants de céréales et plantes alimentaires : Zaramama (mère du maïs), Cocamama (mère de la coca), Axomama (mère de la pomme de terre)… On en faisait des représentations avec des épis de maïs ou de feuilles de quinoa* et de coca *, on les habillait avec un costume féminin et on leur rendait un culte. Les Incas croyaient que toutes les plantes utiles étaient animées par un être divin, cause de leur croissance.

La coutume indienne qui consiste à verser sur le sol les premières gouttes de nourriture ou de chicha (bière de maïs) que l’on s’apprête à consommer, trouve son origine dans la croyance que les hommes doivent constamment offrir des repas rituels et des libations (en quechua: ch’allas) aux différentes divinités peuplant le monde « souterrain ».
 

Les Fêtes religieuses, rites et pratiques musicales dans les Andes 
Dans les civilisations anciennes du Pérou, les fêtes consistaient en cérémonies religieuses dirigées par des « spécialistes » (prêtres, shaman…) qui pratiquaient différents rites où la musique et la danse jouaient un rôle important.

La civilisation mochica* de la côte nord du Pérou a fourni un matériel funéraire très riche, notamment de très nombreux vases en terre cuite décorés de scènes peintes représentant les divinités et les cérémonies qui leur étaient dédiées.

Les prêtres, les danseurs et les musiciens sont des guerriers, des squelettes de sexe masculin ainsi que des êtres mythiques qui paraissent jouer un rôle primordial lors de sacrifices liés à des rites agraires de fertilité. De nombreuses représentations de femmes copulant avec des morts vivants sont à mettre en relation avec des rites de fécondité et le culte des ancêtres.

Les fêtes incaïques, essentiellement religieuses, correspondaient aux grands moments du cycle agricole. Les douze mois de leur calendrier avaient trois ou quatre appellations différentes décrivant soit des fêtes religieuses qui s’y déroulaient, soit des travaux agricoles du moment : labour, semailles, récoltes, soit l’état d’avancement de la végétation. Le terme « mois » n’existait pas chez les Incas : on le rend par le terme  Killa  (lune). En fait, il semble que les « lunes » n’étaient pas nettement déterminées, mais que l’on se contentait de fixer, à partir des solstices, et grâce aux phases lunaires, des jalons suffisamment précis pour les besoins des travaux agricoles et la célébration des fêtes qui en étaient le plus souvent la conséquence.

Il y avait deux grands moments dans l’année lunaire inca, l’un correspondant au début de l’été (période des pluies), l’autre au commencement de l’hiver (période sèche).

La période des pluies est cruciale car elle correspond à une phase critique pour la croissance des cultures. Pendant cette période, les communautés se concentrent sur elles-mêmes et pratiquent les rituels qui favorisent la fertilité de la terre. La période sèche est, quant à elle, consacrée aux travaux agricoles et à la circulation des denrées. Contrairement au cycle précédent, les communautés s’ouvrent, sortent de leurs villages pour rencontrer d’autres communautés et réaffirmer leur participation aux différents niveaux de la pyramide sociale.

Chez les Incas, la cérémonie du Camay, qui se déroulait en janvier, consistait notamment en un combat rituel opposant les jeunes nobles masculins qui avaient été initiés et avaient reçu les insignes de leur statut d’homme et d’ « inca » : deux camps représentant les deux moitiés de la ville de Cuzco, le « Haut » et le « Bas » s’affrontaient avec des frondes. Ce rite inca correspondrait d’une part à un rite de passage, d’autre part à un rite agraire liée à la poussée du maïs : le mois de janvier correspond dans la montagne à la période des pluies abondantes, le moment où tout pousse dans les champs : une correspondance semble donc exister entre la vie du maïs et les jeunes nobles qui, comme les jeunes plants, devaient montrer leur vitalité.

A la fin de la saison sèche, ceci afin de faire venir la pluie, on sortait les corps des défunts de leur tombe et on leur offrait de la nourriture et des boissons (Fête de l’Ayamarca) .

Après la conquête espagnole, les rites anciens perdirent de leur cohérence et se transformèrent mais le catholicisme, religion imposée par les conquérants, se fondit dans l’ancienne cosmovision andine.

Ainsi, pour se rapporter aux deux exemples cités ci-dessus, de nombreux combats rituels ont été observés depuis le XVIème siècle dans les Andes. Ils ont généralement lieu entre Noël et le Carnaval : leur but est de prédire suivant l’issue du combat, si la récolte sera abondante ou non. Les guerriers combattent pour le bien de la Communauté, les familles des morts et des blessés ne se plaignent pas car s’il y a des morts, c’est le signe que la terre a accepté le sang comme offrande et qu’elle leur octroiera en retour de bonnes récoltes.

D’autres pratiques indiennes rappellent les rites incas de l’ Ayamarca: au début du mois de novembre,  les familles préparent de la nourrriture qu’elles apportent dans les cimetières pour les partager avec leurs ancêtres défunts. Elles sont persuadées que si les âmes des morts sont bien traitées, elles seront bienveillantes et leur permettront de survivre et de prospérer tout au long de l’année.

A l’époque précolombienne, la musique était associée aux manifestations rituelles : grâce aux fouilles archéologiques (surtout sur la côte péruvienne dont le climat sec permet mieux la conservation des matériaux périssables) et l’étude du matériel funéraire sur lequel de nombreux musiciens sont représentés, on a identifié les différents instruments de musique en usage dans les civilisations anciennes du Pérou.  Il s’agit de sonnailles, de flûtes de pan et de flûtes droites à encoche, de diverses trompettes et de différents types de tambours. 

Outre son rôle rituel, la musique intervenait probablement aussi dans la vie de tous les jours. Ceci peut être déduit de l’étude des structures musicales archaïques qui sont encore décelables dans de nombreux thèmes traditionnels actuels: transmises par la tradition orale depuis des générations, elles indiqueraient que la musique n’était pas l’exclusivité des seuls dignitaires religieux.

Après la conquête espagnole, les interdictions portant sur les rituels traditionnels et la pénétration de nouvelles cultures musicales ont transformé profondément la musique autochtone: des instruments de musique jusqu’alors inconnus firent leur apparition, notamment les instruments à cordes européens (guitare, mandoline, harpe, violon…).

Il est fascinant de constater qu’aujourd’hui encore, au sein des communautés indiennes, l’utilisation des instruments est en relation étroite avec le calendrier climatique qui règle toujours les activités agricoles et les événements rituels.

Les instruments de musique, les genres, les accords sont différents pour chaque période de l’année, remplissant chaque fois des fonctions très précises qui transcendent le champ strictement musical et s’inscrivent dans la logique globale de chaque saison. Transgresser les règles d’utilisation établies pour chaque type d’instrument peut entraîner de lourdes conséquences pour le musicien et toute la communauté.