Le patrimoine culturel immatériel 
Les pratiques musicales traditionnelles et les droits d'auteur



Dans la foulée de la Convention internationale adoptée par l'UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003)1 et à l'initiative de l'association Colophon, un groupe de réflexion a été formé à Bruxelles – le G.P.i. – afin d'étudier la problématique des droits d'auteur en matière de patrimoine immatériel et plus particulièrement le patrimoine musical. 2 

Les musiques traditionnelles de toutes les communautés du monde sont de plus en plus "captées" par des publics extrêmement différents. Une musique traditionnelle – ou dite "du monde" (notions qui nécessitent d'ailleurs une définition) – n'est plus nécessairement un moyen de communication et d'expression ou un élément indissociable d'un acte social au sein d'une communauté ; elle est aussi, aujourd'hui, un "produit" potentiel sur le marché international de la musique, en l'occurrence celui du disque et celui du concert.3
A ce titre, elle est exposée à tous les changements possibles, depuis la perte de sens jusqu'à la déformation en musiques hybrides. Mais, sans aller aussi loin, chaque expression musicale de chaque communauté du monde peut aussi simplement être enregistrée ou filmée à un moment donné puis être divulguée, telle quelle, à travers le monde. Se posent alors plusieurs questions liées tant à la diffusion de ces patrimoines qu'à leur protection. Le plus souvent, il s'agit, dans le cas des musiques traditionnelles, d'expressions (œuvres) collectives et anonymes : le patrimoine oral d'une communauté et non l'œuvre d'un auteur précis.

Certains collecteurs de musiques et producteurs de disques ou de films "échangent" cette captation contre une rétribution, tandis que d'autres emportent en leurs bagages des musiques empruntées sans la moindre forme contractuelle. De sorte que certaines collections de disques sont basées sur une relation solide, avec un contrat pour chaque disque, tandis que d'autres apparaissent comme de simples collectages de musiques traditionnelles dont on retient au mieux l'origine géographique. Des pratiques extrêmement différentes coexistent donc aujourd'hui.

D'autres problèmes se posent, souvent pratiques ou juridiques. Dans certains pays, il n'existe pas nécessairement de société de droits d'auteurs, de la même manière qu'il n'existe pas nécessairement de définition ni de relevé des patrimoines propres à chaque communauté. En d'autres termes, il est parfois difficile de savoir ce qu'il faut protéger avant même de savoir comment le protéger.

Le G.P.i. en proposant un questionnement sur la propriété intellectuelle des auteurs - les droits moraux et patrimoniaux - se donnait pour objectif de sensibiliser le public et les professionnels à cette problématique et de contribuer ainsi à la protection des patrimoines collectifs musicaux. En conclusion de ses travaux le G.P.i. préconisait l'élaboration d'une charte de recommandations visant à un meilleur respect des valeurs collectives et des droits des communautés et donc, in fine, à une participation active à une sauvegarde responsable du patrimoine culturel universel.
Cette charte poserait les principes d’une éthique et d’un code déontologique « idéal » à appliquer depuis le collectage jusqu’à l’édition, la diffusion et la commercialisation des musiques traditionnelles.
Il ne s’agit pas de pointer du doigt tel ou tel professionnel, mais bien de susciter la réflexion, de faire comprendre les nombreuses disparités dans la chaîne de production des musiques traditionnelles et d’y sensibiliser le plus d’acteurs possibles, en cela compris ceux qui au bout du processus sont les consommateurs de ces musiques. Exactement de la même manière qu’en d’autres domaines où l’on prône de plus en plus un commerce équitable.
L'association, sous son label Colophon Records, met en oeuvre ces principes, entre autres en les formalisant contractuellement à chacune de ses productions audio.

Enfin, ce travail de réflexion a abouti à une publication de synthèse accessible en version électronique ou en version reliée (papier) dans la Collection Essais sous le titre Le patrimoine culturel immatériel. Droits des peuples et droits d'auteur.4


1 Selon les définitions extraites du glossaire et de la Convention établis par l’Unesco à Paris en juin 2002, le "patrimoine culturel immatériel" recouvre des pratiques et des représentations – ainsi que des savoirs, des savoir-faire, des instruments, des objets, des artefacts et des lieux qui leur sont nécessairement associés – reconnues par les communautés et les individus comme faisant partie de leur patrimoine culturel immatériel, et conformes aux principes universellement acceptés des droits de l’homme, de l’équité, de la durabilité et du respect mutuel entre communautés culturelles. Ce patrimoine culturel immatériel est constamment recréé par les communautés en fonction de leur milieu et de leur histoire et leur procure un sentiment de continuité et d’identité, contribuant ainsi à promouvoir la diversité culturelle et la créativité de l’humanité. Ce patrimoine culturel immatériel couvre les domaines suivants : les traditions et les expressions orales; les arts du spectacle; les pratiques sociales, les rituels et les événements festifs; les connaissances et les pratiques concernant la nature et l’univers ; les savoir-faire liés à l'artisanat traditionnel. 

2 A savoir l'ensemble des pratiques instrumentales et vocales, les danses, les musiques liées aux cérémonies, aux rites et autres événements sociaux du cycle de la vie et du cycle des saisons.

3 Musiques du monde, produits de consommation? par Laurent Aubert, Pierre Bois, Etienne Bours, Albert Dechambre, Pierre Hemptinne et Henri Lecomte. 
Collection Essais, Colophon Editions, Bruxelles, 2000.

4 par Etienne Bours, Luzmila Carpio, Geoffroy de Cours, Didier Demolin, Christophe Depreter, Fernando Mathias Baptista, Anthony Seeger, Raul Silva Telles do Valle,David Stehl et Julie Vaussanvin. 
Collection Essais, Colophon Editions. Bruxelles 2007.