MAKI  (le livret)
Chants  d'éloges du Niani



Autrefois, dans l’Empire mandingue, le griot (
djéli) cumulait les fonctions de chroniqueur, d’historien, de chanteur, de musicien, d’interprète, d’animateur public… Aujourd’hui, malgré l’attrait pour les musiques modernes et urbaines et une acculturation inéluctable des sociétés traditionnelles, les populations rurales de cette partie de l’Afrique de l’Ouest, principalement du Mali, du Sénégal et de la Gambie – mais aussi dans toute la zone d’expansion mandingue jusqu’au Burkina Faso –, sont restées attachées à leurs griots et à la culture de l’oralité. Il n’est d’ailleurs pas rare de rencontrer des griots parcourant encore les campagnes au gré des demandes ou des opportunités. Ici au service d’un propriétaire terrien, là d’un notable ou d’une radio rurale, à l’occasion d’une fête ou de semailles, d’un mariage, d’un baptême, d’une circoncision ou d’une rencontre villageoise, ces bardes itinérants offrent leurs services partout où ils le peuvent, ne manquant pas une occasion de rehausser de leur art les petits comme les grands événements de la vie rurale. En professionnels avertis, ils distillent habillement louanges et hommages, légendes et généalogies de leurs commanditaires.

Mémoires vivantes de la communauté, les griots sont généralement attachés par un contrat ancestral très fort à une seule famille, parfois même à une seule personne. Ces « patrons » ou tuteurs, de noble ascendance, les horon (hommes libres), étaient jadis assez argentés pour entretenir plusieurs griots et leurs familles. Aujourd’hui, il n’est pas rare que certains de ces poètes-musiciens chanceux ou devenus célèbres, surtout dans les villes, soient bien plus nantis que leurs soi-disant patrons… Mais, par allégeance les griots restent fidèles à leurs horon et aux membres de leurs familles. En maîtres de la parole, plus qu’en musiciens d’ailleurs, ils se doivent de perpétuer mythes et légendes à la gloire de leurs horon, même si ceux-ci sont souvent déchus ou ne sont plus. Les griots figent et modèlent l’histoire, au gré de leur inspiration et de leurs humeurs, devenant au besoin de redoutables pédagogues et propagandistes au service de leurs causes. On rapporte ainsi qu’à l’issue de la seconde guerre mondiale, les griots accomplirent un périple à travers toute l’Afrique de l’Ouest pour chanter le triomphe du Général de Gaulle et l’abolition du travail forcé.

Jadis le rôle politique des griots en Afrique de l’Ouest était considérable. Au travers d’une chanson apparemment anodine, le griot pouvait modeler, magnifier ou ruiner une réputation. Lors des conflits, bien que généralement illettrés, ils devenaient négociateurs et diplomates. Leur connaissance généalogique des familles auxquelles ils étaient attachés leur permettait mieux que quiconque d’arbitrer des situations délicates. Aujourd’hui, la grande mobilité des populations, la circulation de l’information par les ondes, l’interactivité entre groupes et communautés différentes a relégué les grandes lignées de griots, tels les Kouyaté, à l’arrière plan de la scène politique et sociale. D’aucuns cependant, pour compenser la perte de leur monopole de l’oralité dans la société contemporaine, ont plus développé la musicalité de leur art et conquis, non sans concessions, de nouveaux publics, jusqu’en Occident.

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Noumoukounda Kouyaté avait quarante ans au moment où ces enregistrements ont été réalisés. Il est originaire de la Gambie où il vit le long du fleuve durant tout l’hivernage (juillet, août et septembre). Son père et son grand père étaient venus au Niani – petit terroir de l’immense empire mandingue – pour servir le roi Mansa Kimintang. A cette époque il n’y avait pas de joueurs de kora au Niani et ils devinrent les interprètes et les porte-voix du roi jusqu’à ce que l’administration républicaine abolisse les dynasties.

Noumoukounda Kouyaté a appris l’art de la kora et du chant auprès de son oncle jusqu’à ses douze ans. Son répertoire – en bambara, la langue des Mandingues – comprend aujourd’hui un peu moins de deux cents chants et mélodies qu’il accompagne à la kora. Cet instrument aux sonorités magnifiques, caractéristique à l’Afrique noire occidentale, est un composé du luth et de la harpe. Il est constitué d’une caisse de résonance formée par une calebasse de grande taille recouverte d’une peau et d’un long manche auquel sont reliées vingt et une cordes tendues par un chevalet de grande taille, l’ensemble couvrant environ trois octaves.

Contrairement aux griots modernes des grandes villes, Noumoukounda Kouyaté perpétue l’ancestrale tradition du barde itinérant, musicien, historien et généalogiste. Au cours de ses périples il ne manque d’ailleurs aucune occasion de saluer ses tuteurs les Camara, descendants de la lignée royale. Sa kora dans une main, un baffle amplificateur et une batterie de voiture montés sur un caddie tiré de l’autre, il parcourt ainsi équipé tout le Niani de village en village. Cet ancien terroir mandingue est aujourd’hui divisé par une frontière politique d’origine coloniale. Une entrave que la défunte Sénégambie espérait dissoudre… Mais aucune frontière en pays mandingue n’a jamais pu empêcher la circulation des épopées et des légendes, pas plus que celle des griots qui les colportent.

Le métier de djeli a sensiblement évolué face aux bouleversements qu’ont connus les pays de l’Afrique de l’Ouest depuis leurs indépendances. Dans les campagnes, leur répertoire – extrêmement riche et varié – constitue un patrimoine exceptionnel encore préservé. Leurs chants ne couvrent pas seulement la généalogie complexe de leurs horon ni la chronique des rois mandingues mais ils prodiguent également quantité de conseils et véhiculent toutes sortes de fables et d’histoires satiriques. Peu à peu, l’intérêt pour les chants généalogiques en hommage aux dignitaires ou à des rois disparus s’estompe mais d’autres chants, d’amitiés, de paix, d’amour, s’intègrent au répertoire. Force est toutefois de constater que les griots ont perdu le monopole de la parole et, d’une certaine manière, leur influence politique. Dans les villes particulièrement, ils doivent rivaliser avec des chanteurs venus d’horizons très différents et il sont amenés à céder parfois aux pressions du marché de la variété ce qui les éloigne un peu plus encore de leurs frères ruraux. Les influences étrangères ne sont pas seules responsables. L’évolution de la société, l’exode rural, la démesure des villes et surtout la rupture du contrat social marquent les différences. Dans les campagnes, comme en témoignent ces enregistrements, la tradition mandingue cependant perdure, il est vrai parfois moyennant quelques adaptations.

Ce disque a été enregistré au Niani, à Malemba (Koumpentoum, Sénégal), en avril 2003 lors des Premières Rencontres culturelles du Niani auxquelles participait Noumoukounda Kouyaté.


 
le CD: les titres
  1. Sory (du nom d’un rythme)
    Cette chanson relate l’histoire des Touré et des Cissé, marabouts des Mandingues à l’époque de leur conversion à l’islam. Comme il se doit Noumoukounda y fait également l’éloge des Camara, ses tuteurs, tout en leur rappelant avec discrétion que personne ne connaît son destin, que seul Dieu décide du sort de chacun et donc qu’il ne faut pas être hautain.
     
  2. Macina (du nom d’un terroir peul au Mali)
    Dans ce chant d’éloges Noumoukounda Kouyaté fait l’éloge des Peul du Mali mais également de ceux du Niani. Cette communauté de pasteurs transhume depuis des temps immémoriaux entre la Mauritanie, le Sénégal et le Mali, à la recherche d’herbages et de points d’eau pour leurs troupeaux. Le chant est entrecoupé d’appréciations et de conseils divers et de salutations informelles (« Bonsoir Issaga »), et sans transition poursuivi par le morceau suivant. 
     
     
  3. Magnoba Isabari Yin Yin  « La jeune mariée, soit patiente!»
    Dans le mariage il faut de la complicité entre époux et de la patience.
    Comme pour ponctuer ce long chant et lui donner un peu de relief ou ressaisir l’attention de son public, le griot y intègre ici, selon l’inspiration du moment, une petite attention à l’égard de ses protecteurs, en l’occurrence les « toubabs» (les Blancs).

    « Le voyage avec les Blancs a été bon et prospère. Longue vie aux toubabs! Je chante les fils valeureux du Niani. Le toubab d’Issaga (Issaga Diallo, conseiller de cette production) a bien fait la technique et il a donné de l’argent !»*
    Le morceau se termine par plusieurs « Bonjour madame, çà va ? Good morning» touches d’autant plus drôles que Noumoucounda ne connaît ni le français, ni l’anglais…

    * Allusion aux droits d’auteur perçus. Toutes les productions de Colophon Records font l’objet d’une rémunération contractuelle versée anticipativement

     
  4. Alalaké « Le destin » (instrumental)
    Ce morceau est considéré comme l’origine de la kora, la « première » mélodie.  
     
  5. Djaby (du nom d’une lignée de Marabouts célèbres au Niani)
    « Les Djaby sont de grands Marabouts ». Pour preuve cette histoire de ce Djaby dont la voiture est retenue par des douaniers à Dacca. Le marabout envoie alors un de ses
    talibe (élève) pour résoudre le problème mais rien n’y fait. Et de jeter alors un mauvais sort aux douaniers qui deviennent fou, d’incendier leurs bureaux, etc. « …tout cela le marabout l’a fait durant walwa (entre 9h et 11h du matin), sans mettre un seul pied à la brigade des douaniers…»
     
  6. Thiedo - « les guerriers » (instrumental)
    Il existe une version de ce vieux chant qui raconte l’histoire du roi Djanké Waly – animiste - et de sa rencontre avec le marabout Sékou Omar du Fouta (Guinée) et des guerres des religions qui s’en suivirent et de la défaite du roi. L’improvisation en fin de cette version a priori instrumentale relate une histoire imprégnée de magie au cours de laquelle un père en acceptant la
    kola
    donne en mariage sa fille unique à cinq garçons.
    Le célèbre chanteur guinéen Mory Kanté a repris ce thème dans une chanson dénonçant l’esclavage des femmes. 

  7. Maki (du nom d’un roi – instrumental)