WAYRA (le livret)
Musiques des Indiens yampara et charka
Depuis quelques années, on assiste dans la cordillère des Andes à un renouveau identitaire des communautés indiennes. La reconnaissance récente des communautés d’origine et la reconstitution des ayllu, ces entités territoriales politiques, économiques et sociales d’origine précolombienne – reconnues par l’occupant espagnol, mais abolies par la République ont contribué à rendre les communautés indiennes les plus reculées plus conscientes de leur poids politique dans la société bolivienne. Un mouvement de lutte en faveur des cultures précolombiennes a ainsi vu le jour au Kollasuyo, l’ancienne partie méridionale de l’empire inca correspondant au territoire actuel de la Bolivie. La préservation et l’affirmation des cultures autochtones, en particulier la langue, la musique, la danse et l’habillement, qui de tout temps ont distingué les différentes appartenances identitaires, constituent aujourd’hui des formes de résistance à l’asservissement qui rassemblent les communautés «indigènes » dans leurs diversités plutôt qu’elles ne les divisent.
La Communauté Pachamama
Dans ce contexte, depuis 1995, un groupe de jeunes femmes et de jeunes hommes issus des zones rurales du Chuquisaca (région de Sucre) a entrepris un travail systématique de sauvegarde, de diffusion et d’enseignement des musiques et des danses autochtones des cultures préhispaniques des Indiens (quechua) yampara et charka. Ces deux groupes vivent essentiellement de l’agriculture et de l’élevage, les yampara occupant la zone nord du département et les charka étant implantés plus au sud-est, mais également dans la région de Potosi.
Quoique métis (mozo) et citadins pour la plupart, la démarche de la Communauté Pachamama relève du combat identitaire et politique que mènent aujourd’hui dans la cordillère des Andes de plus en plus d’Indiens contre l’oppression séculaire citadine, bourgeoise et culturelle, d’origine hispanique. La situation économique précaire et l’injustice sociale flagrante qui frappe les Indiens, ainsi que la menace d’une déstructuration à terme de leur propre monde, à l’image de celle du monde indien en cours, ont poussé ces jeunes métis à s’engager dans l’action culturelle. Contrairement au mouvement d’assimilation de la culture métisse par certaines communautés indiennes, donc à leur intégration progressive et à la création de fait d’une nouvelle identité macrorégionale de paysan métis, la Communauté Pachamama a fait le choix inverse en affirmant son appartenance aux cultures indiennes et en réhabilitant celles-ci par sa pratique musicale, tout en reconnaissant, comme en témoigne son répertoire, l’évidence de nombreux métissages. Le nom par lequel le groupe se désigne est en soi une déclaration politique : le mot «comunidad» ou communauté, par opposition au «pueblo » qui désigne l’habitat métis, recouvre une entité sociale et politique indienne composée de plusieurs familles partageant un même territoire ; « Pachamama », en quechua et en aymara, désigne la Terre Mère, laquelle symbolise à elle seule toute la mythologie, les croyances et les rites des Indiens des Andes (le choix par le groupe de Wayra, qui signifie «le vent», comme titre de ce CD, relève de la même démarche politique et symbolique).
Cette quête de reconnaissance et de justice sociale et économique pour les plus démunis se traduit dans les campagnes et les villages du Chuquisaca par un travail de terrain parmi les populations indiennes lors des fêtes traditionnelles nécessitant de la musique. En puisant et en partageant ainsi ses connaissances dans le monde indien, le groupe a créé un rapport privilégié avec certaines communautés rurales indiennes avec l’aide desquelles il œuvre dans la région pour préserver leur héritage culturel commun mis à mal par plusieurs siècles de domination. Là où d’autres, dans le champ socioéconomique, renforcent aujourd’hui les structures politiques et syndicales et font acte de résistance face aux effets ravageurs du libéralisme et d’un système d’exploitation issu en droite ligne du colonialisme, la Communauté Pachamama révèle l’importance et le rôle des cultures autochtones dans les luttes pour l’autodétermination.
Musiques et instruments
Les instruments utilisés par la Communauté Pachamama appartiennent à la tradition et aux usages populaires des Indiens quechua du Chuquisaca.
Pour les musiques de culture yampara, le groupe utilise des flûtes de Pan ou syrinx (siku ou sikuris), en roseau évidé ou en bambou, et de longues flûtes à bec (pinkullu ou pinkillos), également en roseau ou en bambou. La forme et la manière de jouer des sikuris varient selon les régions, et les airs et les rythmes changent également suivant l’époque de l’année. Cet instrument se joue en groupe, au moins par six musiciens en même temps. A certaines occasions, les ensembles de pinkillos dépassent dix exécutants.
Pour les musiques charka, plusieurs variantes en taille de la flûte de Pan à double rangée (jula-jula) sont utilisées ainsi que des flûtes en bois (hiranas). Les jula-jula offrent une musique rude et d’essence guerrière et se jouent en troupe pouvant atteindre plus de vingt musiciens lors de la fête de la Croix, de la Saint-Jacques ou de la fête du Rosaire. Les flûtes hiranas sont également jouées en troupes. Celles-ci regroupent douze instruments de six dimensions différentes, les plus grandes mesurant environ un mètre et les plus petites 25 à 35 centimètres. L’exécution et les rythmes varient suivant l’époque de l’année : les plus joyeux pour le carnaval, les plus solennels pour les fêtes patronales.
Les instruments à vent, prédominants, sont accompagnés de tambours membranophones, comme un peu partout dans les Andes : le grand tambour sur caisse à deux peaux (bombo) et le tambour sur cadre, de facture citadine ou rustique (caja). Clochettes (campanilla), sonnailles et sifflets complètent les ensembles.
le CD: les titres
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