YELANBAN (le livret)
Musiques de fanfares de la sierra Juárez
Avec le Chiapas, les Etats de Guerrero et d’Hidalgo, l’Etat d’Oaxaca est l’un des plus pauvres du Mexique. Son économie est essentiellement rurale et les communautés autochtones sont soumises à une paupérisation et à une marginalisation qui les conduit à un fort exode vers les villes (Oaxaca, Mexico City) ou d’autres régions du Mexique, mais également au-delà des frontières nationales (USA). Lors du recensement de 1990, réalisé par l’Instituto National de Estadística, Geografia e Informática (INEGI), il apparaissait que plus d’un million d’indigènes, soit près d’un cinquième de la population indienne du Mexique d’alors, étaient établis dans l’Etat d’Oaxaca, faisant de cet Etat le plus « indigène » du pays. Depuis le XVIe siècle, les congrégations religieuses se sont efforcées de diviser et de disperser ces populations qui se sont repliées dans les montagnes, toujours plus loin et plus haut. Zapotèques, Mixtèques, Mazatèques, Chinantèques, Mixes, Cuicatecos, Nahuas, Popolacas, Triquis, Chontales, Amuzgos, Chatinos, Huaves, Zoques, Chocholtèques et Ixcatèques sont aujourd’hui répartis à Oaxaca en plus de 500 « municipios » ou regroupements de communautés (la municipalité est la plus petite division administrative), lesquels sont ventilés sur une trentaine de districts, eux-mêmes répartis en huit régions administratives : Mixteca, la Cañada, el Golfo, Valles Centrales, el Istmo, la Sierra Sur et la Sierra Norte.
Les Zapotèques forment le troisième groupe ethnique le plus important au Mexique (après les Nahuatl et les Mayas du Yucatán et descendent d’une culture précolombienne très ancienne. S’ils vivent pour la plupart aujourd’hui dans des communautés rurales relativement démunies et disséminées dans la montagne, leur empire s’étendait autrefois sur tout le Mexique jusqu’au Costa Rica, et leurs innovations techniques (agriculture, architecture,…) et sociales ont influencé l’ensemble des civilisations précolombiennes en Amérique centrale. Les Zapotèques vont en effet développer à partir de 500 av. J.-C. le concept novateur pour l’époque d’un Etat centralisé avec une véritable organisation politique et administrative. Ils s’établissent dans la région d’Oaxaca vers 300 de notre ère et y développent une civilisation très avancée. Deux cents sites archéologiques leur sont attribués, dont le principal et le plus monumental est celui de Monte Albán. Le déclin de la civilisation zapotèque s’amorce vers le Xe siècle, lorsque les Mixtèques vont les refouler vers l’est. Au XVe siècle, les Zapotèques seront vaincus par les Aztèques et, dans les années 1520, ce sera au tour de la conquête espagnole de parachever leur anéantissement, malgré la forte résistance armée que les Zapotèques opposent.
Lors de son indépendance (1821), le Mexique contemporain, dans sa volonté de construire une nation homogène, va naturellement promouvoir différentes politiques d’assimilation envers les indigènes. Ces politiques, plus désastreuses les unes que les autres, nieront toutes systématiquement les différences culturelles et linguistiques des populations indigènes. Elles seront poursuivies pratiquement durant tout le XXe siècle, utilisant comme principal instrument de l’assimilation le marché capitaliste et l’institution scolaire, avec pour conséquence l’adoption massive de l’espagnol. Ce n’est qu’à partir de 1964 que l’orientation politique change officiellement et qu’un système d’éducation bilingue et « biculturel » voit théoriquement le jour au Mexique. Mais l’amorce d’un véritable changement ne va cependant s’opérer qu’à partir du Premier Séminaire national d’Education bilingue et biculturel, en 1979. A partir des années quatre-vingt, le système éducatif est plus à l’écoute de la culture indigène, et l’éducation devient bilingue, même si elle ne devient pas pour autant encore véritablement indigène, car il ne s’agit le plus souvent que de traductions en zapotèque de contenus hispanophones (1).
Si par la suite la situation diffère sensiblement d’une région zapotèque à une autre, dans la Sierra Norte – un territoire de plus de 3500 km² comptant pas moins d’une cinquantaine de « municipios » dispersés dans des montagnes à l’accès difficile –, le maintien des traditions et de la langue est proportionnel à la marginalisation économique. La majorité des villages sont pauvres, et l’agriculture (maïs, haricot, piment), pratiquement la seule activité économique, y est à peine autosuffisante. Rien d’étonnant dès lors que des systèmes ancestraux de solidarité et d’échanges réciproques, tel le gwon ou gozona, se soient maintenus dans ces régions isolées. Au cours de cette dernière décennie, on observe toutefois une réelle volonté de développement de la Sierra Norte qui se traduit par une amélioration des voies de communication, une augmentation des infrastructures sociales et des équipements ainsi qu’une scolarisation plus active pour enrayer l’analphabétisme.
Les Zapotèques seraient aujourd’hui, selon certaines estimations, plus de 700.000 au Mexique, pour l’essentiel concentrés dans l’Etat d’Oaxaca où ils représenteraient à eux seuls près de 35% de la population indigène (en 1999). S’il n’y a pas actuellement de territoire zapotèque reconnu en tant que tel, ni d’homogénéité linguistique, mais plutôt une hétérogénéité due à la fragmentation historique, force est de constater néanmoins l’émergence récente d’une identité zapotèque, culturelle et linguistique, commune à tous les groupes, ainsi qu’un courant indigéniste politique visant à plus de reconnaissance, entre autres par la revalorisation de la langue et de la culture, et par plus d’autonomie sur le plan administratif. L’officialisation des langues indigènes (1990) au niveau constitutionnel et la reconnaissance légale des droits individuels et collectifs des peuples indigènes d’Oaxaca (1996) sont des étapes majeures dans le processus d’émancipation.
Une école de bandas
En 1952 fut créé à San Bartolomé Zoogocho, un petit village dans la Sierra Norte de Juárez, le Centro de Integración Social n°8 “General Lázaro Cardenas”, un internat indigène dépendant du département de l’éducation publique d’Oaxaca (IEPO). L’internat assume aujourd’hui la scolarisation primaire pour les enfants de huit à quatorze ans en langue indigène ainsi qu’une formation professionnelle et une formation de qualification (taller de capacitación) pour les plus grands, principalement pour les métiers de la couture et de la confection, de la boulangerie, de la menuiserie et de la musique (musiciens de fanfares). Le Centre comptait au début de 2005 quelque 230 pensionnaires originaires de trois ethnies – Zapotèques, Chimantecos et Mixes – et provenant d’une quarantaine de villages de la région. Au fil de son évolution, l’activité musicale est devenue prédominante au sein de l’institution. Elle représentait lors des enregistrements plus de 40% de la mission éducative du centre et concernait la moitié de sa population. L’école comptait deux maîtres de musique et deux bandas ou fanfares dont les membres avaient entre huit et vingt ans : la Banda Juvenil et la Banda Nueva.
Les fanfares sont extrêmement populaires au Mexique, et particulièrement dans cette partie de l’Etat d’Oaxaca. Dans certains villages, où l’on ne dénombre pas plus de quelques centaines d’habitants, il n’est pas rare qu’il y ait plusieurs fanfares. De nombreuses fêtes, surtout religieuses, comme les « Velas », ponctuent abondamment le calendrier mexicain et sont autant d’occasions pour les bandas de se produire en procession dans le village et ensuite d’animer les inévitables bals populaires. Lors de ces fêtes, l’antique culture précolombienne côtoie les rites espagnols, et on célèbre indistinctement le saint patron du village, les plantes, les animaux, les récoltes…
Mais, malgré la popularité des fanfares et l’abondance des fêtes, la relève des musiciens et la continuité des bandas ne sont pas pour autant assurées et une des missions du Centre Lázaro Cardenas consiste précisément à former des instructeurs pour répondre à la demande des communautés (une banda a même été créée à Los Angeles, aux USA, par un ancien élève du Centre avec des immigrés originaires de la vallée). Outre son objectif formatif et éducatif, le Centre contribue aussi à la préservation d’un patrimoine communautaire et à la diffusion de celui-ci. D’anciennes bandas ont été réhabilitées, de jeunes musiciens remplacent les anciens, les répertoires sont inventoriés – et donc sauvegardés –, et la pratique musicale collective des fanfares est en pleine expansion.
Yelanban, en zapotèque, signifie « ce qui génère la vie ».
Enregistrements réalisés en février 2005 au Centro de Integración social « General Lázaro Cardenas » de San Bartolomé Zoogocho.
(1) Guellaut, Maryange. Les Langues zapotèques dans l’Etat de Oaxaca : la résistance à disparaître et la volonté de se revitaliser. IEP / Sciences Po, Rennes, France. 2001.
le CD: les titres
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