MATICO (le livret)
Petites chansons pour danser
La partie nord de l'Amazonie bolivienne est constituée administrativement du département de Pando, de la province de Vaca Diez dans le département du Beni et de la province d’Iturralde dans celui de La Paz. Ce territoire immense compte aujourd’hui un peu moins de 200.000 habitants. Durant la plus grande partie de l'année, la population demeure dans les principales agglomérations. Par contre, en été, une bonne partie de celle-ci immigre vers la forêt pour répondre à la forte demande en main-d’œuvre nécessaire à la récolte de la noix de l’Amazonie, plus connue sous le nom de « noix du Brésil » (Bertholletia excelsa).
A l'origine, cette région était occupée par des populations indigènes : les Chacobos, les Pacakuaras, les Tacanas, les Cabineños, les Eseejas, les Machineres et les Araonas. Au XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle, l’augmentation des cours de la gomme végétale sur les marchés internationaux a attiré dans la région une population de migrants venus principalement de la Sierra et de La Paz. En s’installant, ils ont provoqué le dépeuplement progressif des populations indigènes, confrontées à des conflits territoriaux et à l’introduction – involontaire – de nouvelles maladies pour lesquelles elles n’avaient pas de défense immunitaire.
L'activité économique liée à l’exploitation de la gomme végétale divisait la région entre les centres urbains et les grandes unités de production alors aux mains de quelques propriétaires terriens. Cette situation se poursuivit jusqu'après la Seconde Guerre mondiale quand la chute du prix de la gomme végétale sur le marché international finit par affaiblir fortement ces unités de production. Cette récession de l’économie de la gomme végétale, due entre autres à l’arrivée sur le marché de gommes de culture, a suscité l’apparition de petites communautés de production indépendantes et surtout favorisé la reconversion des grands domaines en entités décentralisées, appelées « barracas », restées aux mains des grands propriétaires terriens.
Jusqu'à la fin des années quatre-vingt, ces barracas se sont maintenues et engageaient une importante main-d’œuvre pour la production de la gomme, la cueillette de la noix de l’Amazonie et l’exploitation des bois précieux. Lorsque la commercialisation de la gomme végétale se vit de plus en plus compromise à cause de son coût élevé d'exploitation, les conséquences pour la région furent considérables. Outre un exode rural vers les villes et la prolifération de communautés rurales indépendantes, on notera également l'abandon de certaines barracas ainsi que la conversion d’autres, sous l’impulsion de l’Etat bolivien, dans l’exploitation exclusive de la noix « du Brésil ».
En 1994, la Loi de Participation populaire (LPP) et la Loi de Décentralisation administrative reconnaissaient enfin aux communautés rurales (dont certaines furent constituées en Organisations territoriales de Base, OTB) le droit de définir les priorités et les demandes d’investissements ainsi que de contrôler la gestion des ressources fiscales administrées par les gouvernements locaux (rôle confié aux Comités de Surveillance de chaque commune). Malheureusement, ces lois suscitèrent aussi pas mal de confusion sur le terrain et éveillèrent des intérêts politiques partisans, au détriment des organisations existantes.
En 1996, suite à des mouvements sociaux très durs, deux autres lois importantes pour le nord de l’Amazonie bolivienne furent votées : la Loi 1700, ou Loi forestière, et la Loi 1715, ou Loi INRA (Institut national de la Réforme agraire). Ces deux instruments légaux reconnaissaient des droits préférentiels aux communautés rurales et aux OTB. La mise en oeuvre de la Loi INRA quant à elle, est devenue une priorité pour l'Etat bolivien dans le nord de l’Amazonie. Elle se concrétise aujourd’hui au travers d’un processus d'assainissement des terres qui répond aux revendications des communautés rurales et indigènes à l’origine de la deuxième « Marche pour le Territoire et la Dignité ». Cette démonstration de force a eu une incidence directe sur l’application de cette loi et, entre autres, sur la répartition des terres par famille au sein des communautés rurales qui sollicitaient le maintien d’un titre de propriété collectif. Ce nouvel appareillage juridique n’entame pas pour autant la détermination de ces communautés de vouloir continuer à changer le fonctionnement d’une société dont jusque-là elles ont été pour ainsi dire exclues. Mais le renforcement du rôle des acteurs légitimes, telles les organisations sociales et les associations rurales, n’est qu’une étape dans le processus de réduction de la pauvreté.
La pratique musicale
Les groupes de San Miguel et des Guaracachis sont constitués de musiciens non professionnels qui exercent des petits métiers très divers. Ils sont maçons, ouvriers agricoles, instituteurs, charpentiers, ambulantes (marchands ambulants) ou encore loueurs et chauffeurs de moto-taxi, et le plaisir de jouer ensemble, entre amis, prédomine ici. Ces groupes, comme les autres formations de Riberalta et de la région, se produisent lors de réunions amicales, de fêtes de mariages et de bals populaires. Leurs prestations sont parfois rémunérées, ce qui représente alors un appoint financier apprécié. L’apprentissage de la musique et sa transmission se fait tant dans le giron familial qu’en dehors de celui-ci. Quant au répertoire et aux sujets qui l’inspirent, la priorité semble être donnée aux évocations géographiques et aux endroits familiers de la vie quotidienne. De nouveaux textes sont continuellement intégrés ou adaptés aux compositions traditionnelles et anciennes. A l’origine, lors des premières implantations de ces populations métissées en Amazonie, il ne devait probablement y avoir sur le plan instrumental que des flûtes et des tambours (bombo) apportés des Andes. Dans certaines compositions d’ailleurs, l’influence du monde andin est encore décelable. Mais si les flûtes sont rares aujourd’hui dans cette partie de l’Amazonie, l’accordéon domine toutes les fêtes populaires. A ses côtés, on trouve généralement une guitare et des maracas ou encore la guacharaca (bâton cranté), ici appelé guajira. Les rythmes traditionnels les plus joués dans cette région d’Amazonie du nord de la Bolivie sont la polka, le carnaval et le taquirari, mais les cumbias et les sambas ne sont pas absentes du répertoire, ni les marches, pourtant si particulières au monde andin.
Le titre de cet album, matico, a trois significations. Il désigne un oiseau de la forêt mais aussi une plante locale, aux vertus médicinales (Piper elongatum). Enfin, si une terre est fertile, elle est matico.
Ces enregistrements ont été réalisés en août 2004 dans les studios de la radio communautaire Radio San Miguel, à Riberalta, à l’occasion du premier Festival Patujú de Oro.
le CD: les titres
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