BASBAR (le livret)
Chants de lutte et autres chansons du peuple béja
Les Béja sont établis au nord du Soudan, dans les régions désertiques et montagneuses situées entre la vallée du Nil et la mer Rouge. Leurs territoires s’étendent des confins de l’Egypte au nord de l’Erythrée. Leur population est estimée à trois millions de personnes, réparties en une dizaine de tribus. Les Béja sont avant tout des éleveurs nomades, même si certains se sont sédentarisés et pratiquent une agriculture céréalière dans les plaines alluviales des rares rivières qui traversent ces régions arides et désolées. Le delta El Gash, du même nom que la rivière qui le traverse, est une de ces oasis de fertilité.
Les Béja sont des musulmans, partiellement arabisés ; ils parlent une langue couchitique, le bedawid.
En 1958, ils constituent un parti politique regroupant les différentes tribus afin de se faire entendre d’une seule voix dans le jeune Etat indépendant du Soudan à peine créé (1956). A cette époque, le pays connaît de graves troubles politiques et doit faire face à une première rébellion sécessionniste des peuples du Sud. Au cours des années quatre-vingt, une nouvelle guerre pour l’autonomie du Sud, chrétien et animiste, oppose le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLA) du colonel John Garang au gouvernement islamiste de Khartoum. Après le coup d’Etat militaire de 1989, qui porte au pouvoir le Front national islamique (NIF), et le durcissement général qui s’ensuivit, le Beja Congress, excédé par les exactions dont souffre la communauté béja, soumise à de fortes pressions à l’assimilation et à la sédentarisation, décide de prendre les armes contre le pouvoir central (Conférence de Kassala, 10 avril 1994) et de se rallier aux autres mouvements d’insurgés (Déclaration d’Asmara, 1995). La première grande offensive armée menée par les Béja (1997), avec le soutien de la diaspora et l’appui discret du gouvernement érythréen, permet la libération d’un territoire qui s’étend sur une bande de plusieurs dizaines de kilomètres de large pratiquement sur tout le long de la frontière érythréenne. Ce territoire, où vivent un peu moins de 200.000 Béja, est aujourd’hui directement administré par le Beja Congress.
Victimes d’une guerre oubliée, les populations civiles de cette zone libérée ne bénéficient que d’une aide humanitaire internationale très insuffisante et malheureusement sporadique. L’intensification de l’aide américaine (à partir de 2000) aux Béja n’est probablement due qu’aux bouleversements politiques et stratégiques récents dans la région et… aux énormes enjeux pétroliers.
La guerre menée par les Béja contre le régime islamiste de Khartoum n’est pas une guerre d’indépendance, mais une guerre visant à la création d’un Etat fédéral dans lequel les Béja jouiraient d’une plus grande autonomie et du respect légitime de leur identité culturelle.
La pratique musicale
Les Béja chantent essentiellement à l’occasion de fêtes tribales ou lors de fêtes familiales (mariages, naissances, funérailles, etc.). Leur répertoire se répartit entre des chants collectifs (avec danses) comme les bibobe (en cercle, debout) et les siera (en cercle, assis) et les chants individuels comprenant des chants traditionnels et des nouveaux chants. Ces chants, traditionnels ou modernes, se classifient en chants d’amour (khane), chants de guerre (birirt), chants épiques (akikt), chants «critiques» (newab), chants d’éloges (hamad) et chants de funérailles (habool), ces derniers étant principalement chantés par les femmes. Deux types d’instruments accompagnent ces chants: une lyre symétrique quadrangulaire à cinq cordes métalliques (basenkob) et des tambours (delooka), à une ou deux membranes. Des tambours particuliers sont également utilisés à certaines occasions, comme pour l’annonce de la guerre (nogara) ou pour les funérailles (kaboor). De même, on distingue une variante pour les youyous (leelt) lancés par les femmes lors des funérailles (yeet).
La pratique publique de la musique est généralement réservée aux hommes, les femmes préférant chanter en famille. Celles-ci, en plus du répertoire traditionnel, ont développé un répertoire propre. L’apprentissage de la musique n’est soumis à aucune règle sociale particulière. C’est le talent d’un musicien qui fera sa notoriété. Chaque communauté ou groupe entretient également un poète professionnel – le labib –, choisi pour son talent. Celui-ci peut être également musicien, comme c’est le cas pour Arka Mohammad Sabir, l’un des deux interprètes de ce disque. Les labib jouissent d’un grand pouvoir et d’une influence considérable. D’ailleurs, ne dit-on pas qu’il vaut mieux ne jamais se brouiller avec un labib si vous ne voulez pas que son verbe vous poursuive sur plusieurs générations ?
Arka Mohammad Sabir et Sidi Doshka
Arka Mohammad Sabir (à gauche) – environ trente ans lors des enregitrements – est le premier chanteur de la résistance béja, mouvement qu’il rejoint en 1996 après avoir déserté l’armée régulière soudanaise. Il appartient à une lignée réputée de labib (poètes) de la tribu des Gamilab-Redey, établie dans la région de la rivière Gash. Ses chants, qui ont fait sa renommée, circulent aujourd’hui à travers tout le nord du Soudan, bien au-delà de la zone libérée. Ce succès, il le doit entre autres à la communauté des Janikat (femmes de mœurs légères) qui transmettent son répertoire, mais qui ont également composé plusieurs chants d’éloges (hamad) en son honneur. Dans la vieille culture béja, c’est-à-dire avant l’islamisation, les mœurs étaient beaucoup plus libres. Quoique très discrètes aujourd’hui, quelques poches de ce libéralisme ancestral subsistent, comme en attestent ces prostituées janikat.
Sidi Doshka – la trentaine – est également une figure célèbre de la résistance béja. Sa tribu, les Atman-Sidab, est établie dans la région de Port Soudan, ville dans laquelle il était musicien semi-professionnel avant de rejoindre, en 1999, le Beja-Congress et la lutte armée.
Ces enregistrements ont été réalisés en juin 2001 à Molabar, sur la frontière entre l’Erythrée et le Soudan.
Les chœurs masculins sont constitués de miliciens de l’armée populaire béja, tandis que les deux chanteuses sont des villageoises de la région.
Ndlr. Les descriptions contextuelles que nous publions sur le site ont été réalisées lors des enregistrements et n'ont pas été actualisées depuis. Elles sont extraites - en partie ou intégralement - des livrets qui documentaient les CD lors de leur parution. Elles ont en général pour but de donner à l'auditeur une information en prise directe avec le contexte dans lequel ces musiques ont été produites, ce qui confère aujourd'hui à la plupart de nos productions une dimension testimoniale rare.
le CD: les titres
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