JAVOHIR  (le livret) 
Épopées et chants d'amour du Khorezm



Pour définir les populations d’Asie centrale, on oppose généralement les peuples indo-iraniens, sédentaires, agriculteurs et citadins, aux nomades ruraux et éleveurs, d’origine turco-mongole. Avec l’accélération, depuis le XIXe siècle, de la sédentarisation et les différents découpages politiques, ce modèle doit être nuancé, comme en témoignent les changements de l’univers nomade, la complexité culturelle et l’intrication extrême des différentes communautés. Si les modes de vie ont changé, la tradition garde cependant encore les traces d’une époque où le cheval, la steppe et les récits épiques constituaient les valeurs de toute personne respectable.
Les chants épiques (destan) et la poésie sont encore chantés aujourd’hui par des ménestrels professionnels, les baxshi (ou bakhshi), autrefois itinérants. Ces bardes sont instrumentistes, poètes, chanteurs, conteurs, historiens, et, chez leurs voisins kazakhs et kirghizes, les baxshi sont aussi chamanes, guérisseurs,…

Au Khorezm, les baxshi se produisent lors des banquets et des fêtes (toy) donnés à l’occasion des noces, de la circoncision ou de tout autre événement privé ou public. Généralement, ils jouent du luth dûtar en chantant et, dans la région de Khiva, ils sont systématiquement accompagnés par un joueur de dôyra, grand tambourin sur cadre d’une quarantaine de centimètres de diamètre.
A partir de la fin du XIXe siècle, le luth dûtar (littéralement « deux cordes ») est parfois remplacé dans la région par un instrument venant d’Azerbaïdjan apporté par les Russes, le luth tar (9 ou 11 cordes), de la famille des rabâb caucasiens. 

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Norbek Baxshi vit de son art. Son offre couvre principalement les banquets (toy), mais également les autres fêtes et, plus pragmatiquement, certains spectacles pour touristes, avec une petite troupe de musiciens et de danseurs entraînés pour la circonstance. Norbek Baxshi a appris la musique dès son plus jeune âge avec son père Bolo Baxshi (1899 -1994), lui-même un musicien réputé qui chantait entre autres pour l’Armée rouge. Jusqu’à dix ans, il apprendra ainsi le luth dûtar, instrument qu’il abandonnera pour le tar lorsqu’il entreprendra des études dans une des deux écoles de musique que comptait Khiva à l’époque soviétique. Le chant s'acquiert au cours d'un apprentissage sévère et continu. Un baxshi accompli possède un répertoire d'au moins une centaine de chants et maîtrise un ensemble de techniques vocales aussi diverses que difficiles lui permettant de développer un style personnel. Celui de Norbek Baxshi, imprégné des destan que son père lui a transmis, perpétue par moment une certaine influence caucasienne.  

La transmission des destan, et de tout le répertoire traditionnel en général, étant orale, ce patrimoine a échappé en quelque sorte aux divers bouleversements politiques et linguistiques qui ont traversé le pays. En un siècle, l‘Ouzbékistan a connu cinq changements d’alphabet et, depuis 1995, on enseigne l’écriture latine dans les écoles à la place du cyrillique, qui reste toutefois prépondérant en Ouzbékistan. La langue utilisée par Norbek Baxshi est le dialecte de Khiva, proche du turkmène, qui comprend de nombreux mots turcs.

Javohir signifie « la perle » 

 
le CD: les titres
  1. G’arib Shoxsanam (I)  - "Pauvre Shoxsanam"

  2. G’arib Shoxsanam (II)

  3. G’arib Shoxsanam (III)
    G’arib est un prénom masculin ; il signifie aussi « pauvre » dans le sens de la compassion.
    L’histoire est un imbroglio de rebondissements tragico-amoureux. Le roi est tombé amoureux de Shoxsanam et veut l’épouser, mais il essuie un refus, l’intéressée en aimant un autre, G’arib! « Tu es le
    khan (roi), mais mon cœur est mon seul roi ».
    Ne pouvant cependant ainsi rejeter le roi, Shoxsanam obtient un sursis de sept ans, tandis que G’arib s’enfuit à l’étranger. Sept années plus tard, on prépare donc la noce. Les festivités durent quarante jours. De nombreux
    baxshi animent la fête. Shoxsanam exige néanmoins que jamais le nom de G’arib ne soit prononcé devant elle sous peine qu’on ne décapite le fautif.
    Le quarantième jour, un baxshi prononce le nom interdit dans une de ses chansons. Il est conduit sur-le-champ auprès du roi pour être exécuté. Celui-ci lui demande pourquoi il a prononcé ce nom alors qu’il connaissait la terrible sentence. Le barde lui répond : « Je l’ai utilisé parce que je suis pauvre, et il serait injuste de me tuer pour cela ». Le khan
    , qui est un roi juste, le libère et l’autorise à reprendre son chant devant Shoxsanam. Mais, très émue, celle-ci soudain reconnaît G’arib…
    S’ensuit alors un duel verbal entre le roi et G’arib qui donne prétexte à de nombreux rebondissements narratifs.
    Finalement les amants se retrouvent …et vivent heureux.

  4. Hayronman  - "Tu m’étonnes"
    "Le soleil se lève derrière la montagne, les oiseaux s’envolent, pourquoi ma femme ne vient-elle pas ? Je suis surpris."
    Norbek Baxshi a composé les paroles de cette chanson sur un thème musical très populaire en Ouzbékistan1.

  5. Norbek Baxshi Sözi  - "La chanson de Norbek"
    "
    Regardez sa beauté ! Quand elle est assise, quand elle marche, quand elle est debout : elle est toujours splendide ! Jeunes et vieux la regardent. Comment est-ce possible de ne pas tomber amoureux de cette fille-là ?"

  6. Oshiq Mahmud  - "Mahmud (est) amoureux"
    Ce très vieux chant, transmis oralement depuis des siècles, reprend, dans une version orientale, un thème universel, celui de Roméo et Juliette.
    Mahmud, dans son rêve, tombe amoureux de la princesse Nigor. Il est originaire du Caucase. Elle est née en Perse. Tout devrait les séparer. Les conseillers du khan intriguent, mais ici l’histoire se terminera bien, comme il se doit pour un bon destan.

  7. Görög’li (I)

  8. Görög’li (II)

  9. Görög’li (III)
    L’épopée de Görög’li occupe une place particulière dans le répertoire des baxshi. Il existe plusieurs versions de ce destan selon qu’il soit chanté en Azerbaïdjan, en Arménie, en Géorgie, en Turquie, au Turkménistan ou en Ouzbékistan. Le récit se divise en un nombre variable d’épisodes, généralement plus d’une dizaine, qui peuvent être chantés dans le désordre. Si au Turkménistan, par exemple, l’épopée relate les aventures du jeune Rushan – de la tribu des Tekke – qui se révolta au XVIIe siècle contre Shah Abbas 1e, au Khorezm, la même trame narrative est attribuée à Jaloliddin, qui se révolta contre l’autorité de Gengis Khan au XIIIe siècle !
    Görög’li, « l’enfant du tombeau » (de
    gör, tombeau et ög’li, le fils) doit son nom aux circonstances malheureuses de sa naissance, sa mère étant morte en couches. La tradition voulait qu’on attende trois jours avant de refermer le caveau funéraire d’une femme morte enceinte, ce qui lui sauva la vie. A Khiva, encore aujourd’hui, on utilise des caveaux de surface à cause du salpêtre, à moins que ce ne soit à cause de quelque croyance liée au zoroastrisme, l’ancienne religion qui fleurit au VIIe siècle avant J.C. au Khorezm…
    Cette geste épique retrace les différentes aventures du Görög’li et des quarante valeureux cavaliers qui l’accompagnent de victoire en victoire. Mais le récit de la vie de Görög’li est aussi un prétexte pour les
    baxshi pour rappeler certaines valeurs morales des Ouzbekes.
    L’idée maîtresse ainsi transmise n’est-elle pas qu’un homme, pour vivre heureux, doit être en bonne santé, avoir une femme belle et fidèle, des enfants bien élevés, un ami loyal et un cheval vigoureux ? 

  10. Peshrov
    En rapport avec la vie du khan Muhammad Xorazmshoh, cet instrumental est un des quatre thèmes musicaux qui constituent l’identité du Khorezm (avec Sohili Sulton, Sohili Navo et Muxammas Ushoq, non représentés sur ce disque). 

  11. Xurmondali
    Ce chant fait l’éloge d’une jeune femme d’exception, Xurmondali, l’équivalent  féminin de Görög’li. Sa force de caractère est remarquable, son éloquence force le respect et ses adversaires craignent sa force physique. Elle doit son nom au rêve que fit son père la veille de sa naissance et dans lequel un ange lui offrait un kaki (xurmon, « dali » signifiant « on m’a donné »).

  12. Maxdumquli
    Maxdumquli fut un célèbre poète qui vécut au Khorezm au XIXe siècle.
    Le chant vante les bienfaits d’une bonne santé et rappelle quelques vérités populaires, tel ce dicton ouzbèk : « l’âne reste un âne ; il ne deviendra jamais un cheval ! »

  13. Baziryan
    Baziryan était guerrier et commerçant. Il possédait 360 chameaux. Son nom signifie d’ailleurs « négociant » au Seistan (Arménie). Le roi Guzal Shah l’avait engagé pour tuer Görög’li. Mais l’affaire prit une tournure inattendue. « Ni toi ni moi n’avons de descendance, pourquoi nous entretuer ? Qu’allons-nous laisser derrière nous ?», rétorque Görög’li à Baziryan venu l’assassiner.
    Dans ce très beau destan, les deux héros finiront par devenir d’inséparables (et invincibles) amis, au grand dam du roi. S’ensuivirent de nombreuses intrigues jusqu’à ce que Baziryan trouve finalement la mort, assassiné sans que son fidèle ami Görög’li puisse le sauver. 

  14. Ali Qanbar
    Cet ancien morceau instrumental, très populaire au Khorezm, fait référence par le nom à l’écuyer d’Ali, le gendre et cousin du Prophète. Ali Qanbar, son esclave abyssin, avait la garde de son cheval Dhu'l-janah et de son épée Zulfikar.

  1. Dans la même collection, sur le CD Bir Bo'sa (Col.CD130), une autre version de ce succès populaire par Zumrad Xalfa.