KANALA (le livret)
Petites chansons hollandaises et autres chants métis du Cap
La musique «Cape Malay», ou musique malaise du Cap, si particulière à cette région, est née il y a plus de trois cents ans, à la fin du XVIIe siècle. Ses origines sont étroitement liées à la traite des esclaves que l’on faisait venir de l’archipel indonésien – d’où son qualificatif «malais»-, de la côte de Malabar, en Inde, et de l’Afrique orientale. Le répertoire «Cape Malay» permet d’ailleurs de retracer une grande partie de l’histoire de l’esclavage en Afrique du Sud. L’influence musicale des colons européens n’est pas non plus à négliger, ni celle des habitants noirs de la région qui y ont également apporté leur contribution, principalement sous la forme de chants d’esclaves. Il s’agissait notamment des «Noirs libres», de langue nguni, des terres orientales du sud de l’Afrique, et des populations désignées collectivement sous le nom de Bochimans, qui vivaient au Cap, dans le bassin du Karoo et dans le désert du Kalahari.
Le terme «malais» est cependant impropre, tout comme il est inexact de dire que les groupes de musiciens sont composés de descendants des Malais. Si le grand public attribue généralement des influences orientales et asiatiques à cette musique, il faut bien reconnaître que celle-ci n’a pas grand-chose d’intrinsèquement «malais». Et l’on trouve dans les groupes aussi bien des musulmans que des chrétiens1.
Les esclaves d’origine malaise étaient reconnus pour être d’habiles artisans et d’excellents musiciens, et leurs talents servaient à distraire les Hollandais. La musique associait des thèmes religieux et des variations rythmiques, tandis que les langues hollandaise, malaise et khoi san se mêlaient dans les paroles des chants. C’est ainsi que s’est formé l’afrikaans, tel qu’on le parle aujourd’hui en Afrique du Sud.
Si l’on en croit la coutume, lors de leur émancipation, en 1834, les esclaves, par petits groupes, ont envahi les rues de la ville du Cap en chantant pour fêter leur liberté. Cette tradition se perpétue encore aujourd’hui à l’occasion du carnaval «nègre» (Coon carnival), qui y est célébré à chaque Nouvelle Année. Ce jour-là, les choeurs «Cape Malay », formés en nagtroepe, ou troupes de nuit, jouent et déambulent jusqu’au petit matin dans la ville. C’est une coutume qui se pratique dans des habits colorés et le visage peinturluré. Le costume et le grimage seraient imités d’un artiste de music-hall américain venu visiter la région au début du XXe siècle. Après les fêtes, les différentes formations de choeurs «Cape Malay» participent à une compétition annuelle. La tradition de la compétition chorale remonte aux années trente.
Les chansons des chœurs «Cape Malay» sont souvent désignées sous le nom générique de «Hollandse liedjies», ou petites chansons hollandaises. Les paroles mélangent des termes malais, africains et hollandais, et certaines des mélodies, les plus douces, sont parfois chantées dans la vieille langue malayo-hollandaise. La tradition séculaire des choeurs «Cape Malay», avec ses «Nederlandsliedere » (chants hollandais), mais aussi ses «Moppies » et «Ghommaliedtjies » - les chansons humoristiques-, doit beaucoup au folklore musical d’Europe occidentale. Enfin, il existe aussi, mais elle n’est pas représentée sur ce disque, une musique religieuse avec une forte composante rythmique, que l’on qualifie également de malaise connue sous le nom de «Ratiep»2.
Les instruments utilisés sont le ghoema, un tonnelet de vin sur lequel on a tendu une peau de veau et qui forme un tambour rond, le banjo à quatre cordes de fabrication artisanale, la guitare et, dans certains cas, la mandoline. Les rythmes plus rapides accompagnent les chansons comiques (moppies), dont les paroles, à l’origine, contribuaient à alléger, par l’humour, le fardeau de l’esclavage.
La culture musicale «malay» s’est aussi répandue dans les townships à la suite des déplacements forcés des populations noires et métisses vers les Cape Flats - la plaine sablonneuse qui s’étend autour du Cap. Il faut se rappeler que sous le régime de l’apartheid on faisait une nette distinction entre «Noirs » et «Métis ». Les gens à la peau très sombre et aux cheveux crépus étaient des «Noirs », tandis que ceux dont le teint était plus clair se retrouvaient étiquetés «Coloured ». Cette appellation, hâtivement traduite par «Métis», englobait les Indiens, les Malais, les Arabes, etc., c’est-à-dire tous ceux qui n’étaient ni des «Blancs», ni des «Noirs». Sous la contrainte, les communautés noires et métisses vivaient séparées dans des townships distincts. La tradition des chœurs «Cape Malay» et, avec elle, une culture musicale qui remonte à l’époque de l’esclavage, se perpétue encore aujourd’hui dans ces anciens «Coloured » townships, comme dans certains quartiers (métis) du Cap, tel Bo-Kaap.
Dérivé de la langue malaise, importé en Afrique du Sud par les esclaves et employé dans de nombreuses expressions idiomatiques, le terme «Kanala» est tout à la fois un appel à l’aide et une invocation du devoir de chacun envers ses frères humains 3.
- Voir Valmont Layne, «La Musique», in Townships, de la ségrégation à la citoyenneté, (Livre-CD) Colophon Records, 1999, pp. 53-55.
- Ibidem.
- Crain Soudien, «District Six et les townships», in Townships…, pp. 58-59
le CD: les titres
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