LOKISHINI  (le livret)
Chants xhosa du township de Langa



Les townships du Cap portent encore les stigmates de l’Apartheid, ce système politique qui puisait ses fondements dans la ségrégation raciale. Les nouvelles valeurs démocratiques ont certes balayé les anciens critères raciaux, mais l’actuelle donne économique, le libéralisme et ses lois impitoyables, maintiennent dans les faits la ségrégation raciale, et les ghettos raciaux du passé sont devenus les banlieues économiquement sinistrées du présent. D’autre part, la libre circulation recouvrée, la croissance démographique et l’attrait des villes ont eu ensemble un effet multiplicateur sur les
townships qui gonflent aujourd’hui à vue d’œil. Il serait toutefois réducteur de considérer les townships seulement comme des banlieues «de couleur», économiquement sinistrées, où se développent, comme corollaires de la pauvreté, le crime et la délinquance. Les townships sont au cœur du débat démocratique en Afrique du Sud et, comme par le passé, c’est là que s’expriment, entre autres musicalement, toutes les aspirations à la justice, toutes les résistances, tous les espoirs.

La «musique des townships», qui s’est répandue en tant que telle dans les années soixante-dix avec l’émergence de la Conscience noire, est rapidement devenue un moyen d’affirmation pour les classes défavorisées. Elle recouvre des genres musicaux et des formes urbaines d’expression culturelle aussi variés que, entre autres, les «Cape Malay Choirs», le marimba, le makwaya - la musique chorale africaine- ou encore, plus récemment, le kwaito.

Le makwaya, d’un point de vue formel, même s’il s’inspire du cantique, n’obéit pas à l’esthétique occidentale. Il s’agit d’un choix délibéré qui répond à un souci de syncrétisme. Les harmonies des chœurs africains ne reposent pas sur une ligne mélodique dominante, mais sur un motif rythmique répété (ostinato), enrichi d’ornements polyphoniques. Les passages mélodiques ont tendance à suivre les motifs tonals des paroles (1). Mais on ne compte plus les influences réciproques entre la musique du township et le monde extérieur, pour exemples les nouvelles formes de musiques urbaines déjà citées ou encore ces chants traditionnels indigènes, réarrangés pour une interprétation chorale en harmonie à plusieurs voix.  

  

Langa Traditional Singers 
Le Langa Traditional Singers est un groupe informel composé de jeunes filles et de jeunes gens xhosa du township de Langa, dans la périphérie de Cape Town. Le plus souvent sans travail, ces jeunes ont choisi de s’engager dans l’action sociale en animant un programme de réinsertion (Ubomi Obutsha) d’enfants de la rue, abandonnés ou orphelins, à partir de l’art vocal traditionnel xhosa. Certains d’entre eux, comme Queen et China, font également partie de formations professionnelles, comme Heshoo Beshoo, et se produisent parfois lors de concerts publics ou de festivals. Mais, face à la profusion des musiques des townships et à leur commercialisation, mais aussi devant la percée des modes et une certaine uniformisation, ce groupe se caractérise par une forte résistance identitaire et, au sens large,  par un «retour aux sources». Sa musique, qui s’apparente à la musique traditionnelle xhosa, affirme son origine villageoise, même si certains effets, comme leur professionnalisme, trahissent une influence urbaine certaine. Ce souci de prolonger, voire de réactualiser la tradition, se traduit particulièrement dans différents chants «de village», comme dans les chants appartenant aux rituels d’initiation, mais se retrouve aussi, dans une moindre mesure, dans les chants de facture récente.  L’introduction de youyous et l’usage d’un tambour traditionnel pour tout instrument accentuent la démarche générale et confèrent à l’ensemble l’authenticité recherchée. 

Même si le répertoire, à des degrés divers, a été revu et réarrangé et que certains chants enfreignent ouvertement les interdits liés au sexe – tous les chants du groupe sont chantés indistinctement par les filles et les garçons, contrairement à la coutume –, et que le groupe crée aujourd’hui ses propres compositions, la marque de la tradition et de l’identité xhosa reste le ciment de cette production à contre-courant des modes et des marchés.    


1. Valmont LAYNE, «La Musique», in Townships, de la ségrégation à la citoyenneté, (Livre-CD hors commerce). Colophon Records, 1999, pp. 53-55.


 
le CD: les titres
  1.  Umlilo
    Traditionnellement chanté uniquement par les femmes, ce chant d’apprentissage met en garde les jeunes bergers des dangers du feu (umlilo).

  2. Dumbumayimayi
    Dans cette composition récente d’influence zouloue, Lulamile Dyra évoque son expérience de la vie dans les hôtels pour mineurs de la région de Johannesburg.
    Le titre de la chanson, composé des mots dumbu - «un habitué »- et mayimayi, qui évoque un hôtel pour mineurs, constitue le sobriquet donné ici à une jeune veuve dans la nécessité.
    Celle-ci passe d’une habitation à l’autre pour quémander de la nourriture, mais les femmes se méfient d’elle, craignant qu’elle ne séduise leur mari. « Pourquoi viens-tu toujours ici quand tu as faim ? », lance une femme. Et les hommes de répondre : «Elle n’a pas couché avec moi, aujourd’hui elle était à côté ! » Le voisin, à son tour, clame son innocence,…

  3. Batshise imbawula  «Le feu te brûlera»
    Ce vieux chant xhosa traditionnel est en principe strictement réservé aux hommes, comme tout ce qui touche aux rites d’initiation. Selon la croyance, seuls ceux-ci, une fois initiés, peuvent le comprendre et l’expliquer.

  4. Toyi toyi
    « Nos mères sont heureuses quand nous lançons des pierres sur les Boers (…)»
    Toyi toyi est le nom d’une danse chantée, exécutée parfois par de nombreux manifestants lors des contestations sous l’apartheid. Ce chant politique, encore gravé dans la mémoire collective, rappelle les heures difficiles des grands soulèvements populaires des Townships et symbolise la résistance et la détermination d’un peuple, mais aussi tous ses espoirs pour un changement de société. 

  5. Zungebele
    Ce chant d’amour est normalement chanté par les hommes lorsqu’ils rentrent au village après avoir terminé leur contrat à la mine. Il s’agit d’une forme légère de demande en mariage évoquant, entre autre, la dot.
    « Je reviens de la mine, je peux tout t’offrir ; partageons l’amour »

  6. Sozendiye ema a lawini
    A l’origine, ce chant «de prévention » mettait les Xhosa en garde contre les Zoulous. Aujourd’hui, adapté aux nouvelles nécessités urbaines, il évoque la violence qui règne dans les townships de la communauté métisse («coloured ») et les dangers qu’encourent les Xhosa en s’y rendant.
    « Je n’irai jamais dans un township métis. Ils vont nous tuer ! Rassure-toi, je n’irai jamais ! » 

  7. Ntombientle
    Se référant aux croyances magiques, ce vieux chant d’incantation raconte l’histoire d’un homme imprudent qui, à la recherche de bois dans la savane, découvre, dépassant d’un buisson, la jambe d’une jeune fille. Personne ne peut parcourir la savane sans prendre quelques précautions… 

  8. Ndiyayoyika indlela yase monti - «Je suis effrayé d’emprunter l’East London Road »
    De nombreux Xhosa, invoquant le mauvais sort, redoutent d’emprunter la route qui relie Cape Town à East London, dans le Transkei, via Beaufort West. Les fréquents accidents de roulage recensés sur cette route renforcent encore aujourd’hui cette appréhension.  


  9. Yonke into siyicela kuwe Somandla - «Tout, nous le demandons à Dieu»
    Ce chant de funérailles, récemment composé par Lulamile Dyira et arrangé par Xolani Gogxeka lors du décès d’un proche parent, se chante en principe à l’église. Somandla est le nom du Dieu créateur des Xhosa et la transposition de Jésus-Christ.

  10. Kusasa ekuseni -  «Tôt le matin»
    Composé par Lulamile Dyria, c'est un chant de lamentation représentatif de la précarité de la vie dans le
    township. Il relate l’histoire d’un homme démuni qui ne sait comment nourrir sa famille et qui va chercher de l’aide auprès de ses amis qui ont du travail.

    «Chaque jour, le matin quand tu te lèves pour travailler, je t’entends comme dans un rêve, et après j’entends mes enfants affamés qui pleurent »
    Ses amis lui répondent :
    « Cesse donc de te lamenter comme une femme !
    Cela ne sert à rien, redresse-toi, bats-toi ! »   

  11. Thula la thula sana
    Il existe de nombreuses versions de cette berceuse en langue ungui, aux lointaines origines rurales et tribales. Cette chanson, avec Toyi toyi (plage 4), mais pour d’autres raisons, est également bien connue de la communauté blanche du Cap : le personnel de maison et les nourrices, généralement des Xhosa, fredonnent volontiers cet air pour apaiser les enfants de la maisonnée.   

  12. Andilalanga - «Nous ne sommes pas endormis»
    Ce chant fait allusion aux voleurs de vaches. Même si on rencontre encore quelques vaches dans le
    township de Langa, cette mise en garde doit être interprétée au sens large. 

  13. Mgoma  - « La douleur»
    Cet ancien chant de village, accompagné d’une gestuelle expressive, exorcise toujours, selon les grands-mères, les douleurs corporelles.  

  14. Akunamvano apha emzin   -  « Il n’y a pas d’unité »
    Ce chant du Transkei, sur un mode triste, déplore le manque d’unité politique, à l’origine entre les tribus, aujourd’hui dans les townships.

  15. Thina sizwe esimnyama sikhalela izwelethu i Africa« Nous, le Peuple noir, nous nous battons pour notre terre natale, l’Afrique… »
    Ce chant de résistance et de lutte date de juin 1976.

  16. Loliwe sthanduasana  - «Train mon amour »
    « Train mon Amour emmène-moi au travail, que je puisse nourrir mes enfants. Je prie mes ancêtres, là-haut dans les nuages, pour qu’ils m’aident et me donnent la force de me réveiller pour attraper mon train». (Composition : Nceba Gongxeka et Sobry Makhuphula)