KLAMMA  (le livret)
Chants rituels de la campagne (Grèce)



En Grèce, la musique vocale est fortement ancrée dans la vie de la communauté. Elle fait partie des rites et des fonctions qui rythment le cycle de la vie : le mariage, les funérailles, les fêtes communautaires et tout ce qui contribue à la survie de la collectivité. C’est pourquoi elle se rattache à la population féminine et a pris des formes différentes, selon les dialectes musicaux locaux.
Ce CD est consacré aux chants de diverses régions de Grèce continentale et des communautés de réfugiés grecs d’Asie mineure. Il vise à promouvoir des styles peu connus. C’est la raison pour laquelle l’interprétation des chants s’appuie sur des enregistrements réalisés sur le terrain ou sur des recherches dans les archives. Quatre régions principales sont représentées, qui se signalent chacune par leurs styles vocaux : l’Épire, avec ses styles de chant polyphonique à trois ou quatre voix (l’Épire du Nord, dans ce qui est aujourd’hui l’Albanie du Sud et l’Épire centrale, autour de Ioannina, en Grèce) ; le Pinde, dans la partie centrale de la Grèce continentale, avec son hétérophonie et ses populations valacophones et hellénophones ; la région du Nord-Est macédonien, avec ses chants à deux voix que l’on peut rapprocher de la polyphonie de Bulgarie du Sud ; et la Cappadoce, en Asie mineure, avec son style vocal rituel monophonique. Il s’agit dans presque tous les cas de chants rituels, qui jouent un rôle particulier dans la vie de la collectivité.

Le mot grec «klamma» signifie pleurs, sanglots. Il se rapporte à la fonction première de bon nombre des chants figurant dans ce CD, mais aussi à beaucoup de chants rituels qui accompagnent la vie de la communauté en Grèce dans le cadre des rites funéraires. Hormis les chants funèbres proprement dits, comme les morceaux 11, 19 et 20, les chants se composent de mélodies funèbres qui conservent leur fonction dans d’autres circonstances, comme dans le cas des morceaux 4 et 9. Ainsi, la voix la plus basse du quatrième morceau adopte la forme initiale d’une lamentation que l’on retrouve dans les chants purement funèbres improvisés dans la région de l’Épire. Elle devient ici un ornement de la texture polyphonique. Bien d’autres caractéristiques des chants proviennent aussi des pratiques funéraires comme les petits cris, la manière de chanter elle-même et les lignes mélodiques, notamment dans la polyphonie et l’hétérophonie (morceaux 1 à 10, 16 et 17). Mais même lorsque ces aspects ne sont pas évidents, comme dans les chants de danse par exemple, les textes font souvent référence à la mort, à l’affliction du deuil ou à la révolte contre la mort (morceaux 12, 14, 15 et 18) ou contre la destinée humaine. C’est généralement le besoin de s’insurger contre la fatalité ou de garder vivant le souvenir dans la mémoire collective qui fait que les « klamma » deviennent des chants. Aussi longtemps que nous les chanterons, nous n’oublierons jamais les « klamma ».


ECHÓ
Le groupe vocal féminin « Echó », qui interprète les chants sur ce CD, a débuté sous la forme d’une activité expérimentale en 1998, sur l’initiative de sa directrice de chœur, qui a fondé ce groupe traditionnel de chant choral et de danse, alors composé d’élèves de l’école de musique de Thessalonique, âgées de 12 à 15 ans. Il a poursuivi son travail expérimental lors des conférences données par sa fondatrice au département de musicologie et d’histoire de l’art de l’Université de Macédoine, à Thessalonique. Il s’appuie sur les recherches de la directrice de chœur, qui étudie les chants traditionnels de Grèce depuis 1990. Les membres du groupe sont aujourd’hui diplômées et continuent à se produire, avec des collaborations extérieures, en s’inspirant principalement des éléments recueillis grâce au travail de terrain et à la recherche. Le groupe est actif sous ce nom depuis 2012. Son travail consiste à étudier les documents concernant le chant traditionnel et ses techniques vocales, en prêtant une attention particulière aux caractéristiques de la langue grecque et de ses dialectes, ainsi qu’aux interactions de ces différents facteurs dans le style de chant traditionnel. Le groupe « Echó » s’intéresse notamment beaucoup au phénomène du bilinguisme.

L’atelier vocal part du principe que le chant convient à toutes les voix. Comme dans les traditions locales, où chaque voix a sa place dans la vie musicale de la collectivité, il y a, au sein de l’atelier, de la place pour tout le monde. L’atelier a contribué à former les voix de plusieurs étudiantes ou de collaboratrices extérieures qui l’ont accompagné pendant des périodes plus ou moins longues et qui continuent parfois à participer à ses activités ou qui ont, parallèlement, apporté leur expérience à d’autres groupes vocaux ou mené une carrière solo. Quatre membres du groupe ont pris part à la réalisation de ce CD. 
 


1. « Klamma » est dérivé de l’ancien grec « klavma » (κλαυμα) – pleurer. La lettre υ (ypsilon) s’est transformée en un second μ (m) en grec moderne. La graphie initiale correcte en grec moderne est donc « klamma », avec deux m. La graphie « klama » avec un seul m est une simplification ultérieure. 

 
 
le CD: les titres

  1. Oles oi xores ta xoria  -  Όλες οι χώρες τα χωριά
    « Tous les pays, les terres et les villages »
    Chant historique chanté en groupe. Chant polyphonique de la région de
    l
    ’Épire du Nord et du Thiamis (Kalamas) (enregistrement original publié sur le CD « Epirotic Musical Tradition », piste 16). 
     
  2. Ena pouli Thalassino kai ena pouli vounision (kaimene Marko Mbotsani) - Ένα πουλί θαλασσινό και ένα πουλί βουνίσιο (καημένε Μάρκο Μπότσαρη)
    « Un oiseau venu de la mer et un autre des montagnes... (Oh ! mon pauvre Markos Botsaris !) »
    Village de Kosovitsa, en Épire du Nord. Un chant funèbre polyphonique en l'honneur de Markos Botsaris, qui se danse à trois. 

     
  3. Protos einai o Leonidas - Πρώτος είναι ο Λεωνίδας
    « Leonidas est le premier »
    Chant historique du village de Kosovitsa en Épire du Nord (Albanie du Sud intérieure) qui se chante en groupe. 

     
  4. Vlepeis ekeino to vouno? - Βλέπεις εκείνο το βουνό?
    « Voyez-vous cette montagne ? »
    Chant de récolte polyphonique féminin du village de Kouklioi dans la région du Thiamis (Kalamas) en Épire. D’après un vieil enregistrement réalisé par des habitants de Kouklioi.

     
  5. Osa louloudia i Anoiksi - Όσα λουλούδια η Άνοιξη
    « Toutes les fleurs du printemps »
    Chant polyphonique féminin, interprété d’après un enregistrement sur le terrain (1993) retrouvé dans les archives radiophoniques de l’E.R.A. à Ioannina (voir Lolis Kostas, The Epirot Polyphonic Songs, 2006, p.128 ex. 27, piste 18 du CD). Chant que les femmes du village de Sotira, en Épire du Nord, chantent en groupe.

     
  6. Nteli Papas - Ντελή Παπάς
    Un chant polyphonique du village de Ktismata, dans la région de Pogoni, qui se chante en groupes (hommes-femmes) (pour l’enregistrement original, voir « The Polyphonic Song of Epirus – from the village of Ktismata in Pogoni region », face 2, n° 2). La version originale (ancienne) incluse dans ce CD est une version similaire (à quelques différences près) enregistrée dans le village d’Agia Marina en Épire. 

     
  7. Ksenitemeno moy Pouli - Ξενητεμένο μου πουλί
    « Mon oiseau triste en exil »
    D’après un enregistrement sur le terrain (1978) retrouvé dans les archives radiophoniques de Gyrokaster (Lolis Kostas, The Epirot Polyphonic Songs, 2006, p.136, piste 22 du CD). Chant que les femmes du village de Lesinitsa, en Épire du Nord, chantent en groupe.

     
  8. Siga Nyfi ton Choro - Σίγα νύφη τον χορό
    « Conduis lentement la danse, ma jeune épouse »
    Danse de noce rituelle (à trois) du village de Kosovitsa en Épire du Nord (Albanie du Sud intérieure), pour la mariée. 

     
  9. Mi me pethaineis Panagia thelo na ziso akomi - Μη με πεθαίνεις Παναγιά θέλω να ζήσω ακόμη
    « Oh ! Mère de Dieu ! Ne me laisse pas mourir ! Je veux rester en vie ! »
    Village de Pogoniani en Épire. Chant funèbre interprété en groupe.


    « Oh ! Mère de Dieu ! Ne me laisse pas mourir ! Je veux rester en vie ! 
    Ah ! Car je suis encore jeune et célibataire
    Et la terre ne voudra pas de moi en elle pour me changer en poussière.

    Ah ! Car je ne suis pas un arbre
    Qu’on abat et qui vénère la terre ! »
     

     
  10. Embate agoria sto choro korasia sta tragoudia - Εμπάτε αγόρια στο χορό κοράσια στα τραγούδια
    « Vous, les garçons ! Entrez dans la danse. Et vous, les filles, commencez à chanter ! »
    Un chant de danse en grec bien connu que les orchestres jouent lors des festivités locales dans toute la Grèce occidentale. La version interprétée ici appartient au vieux style de composition hétérophonique caractéristique des chants rituels de la région du massif du Pinde. Il y a plusieurs voix. Une voix principale chante la mélodie, tandis qu’une autre l’accompagne en bourdon. Une voix moyenne est ajoutée et, dans certains cas, la voix la plus haute chante en quinte au-dessus de la tonalité principale.

     
  11. Mariola – Siko Mariola apo tin gi (I) - Σήκω Μαριόλα από τη γή
    « Relève-toi, jolie fille, et sors de terre ! »
    Un chant funèbre en grec du village valacophone de Metsovo (massif du Pinde). Chanté par un groupe féminin.

     
  12. Triomero imouna gambros - Τριόμερο ήμουνα γαμπρός
    « Je n’ai été marié que trois jours »
    Chant de noce féminin à deux voix, entonné sur le chemin « quand on conduit la mariée à l’église ». Village bilingue (hellénophone et slavophone) de Volakas, dans la région grecque de Drama (Nord-Est macédonien)
    .

     
  13. Exthes to vrady - Εχθές το βράδυ
    « Hier soir »
    Un chant de danse féminin à deux voix du village de Volakas, dans la région grecque de Drama (Nord-Est macédonien). 

     
  14. Dyo aderfia eixan mia aderfi - Δυό αδέρφια είχαν μια αδερφή
    « Deux frères avaient une sœur »
    Chant de danse féminin à deux voix du village de Volakas, dans la région grecque de Drama (Nord-Est macédonien). 

     
  15. Potame Tzane m’ Potame moy - Ποταμέ Τζάνεμποταμέ μου
    « Oh! Rivière, ma rivère ! »
    Chant de danse féminin à deux voix du village de Volakas, dans la région grecque de Drama (Nord-Est macédonien). D’après des enregistrements sur le terrain. Il a aussi été enregistré dans une version monophonique de « syrtos » (danse) en 1934 par Rita Abatzi (chanteuse traditionnelle de « rébétiko ») (référence de l’enregistrement : HMV AO-2164).
    À Volakas, le chant est interprété à deux voix et les intervalles de la mélodie sont différents, conformément au style local.

     
  16. Prameteytis ekinise - Πραματευτής εκίνησε
    « Un marchand a entrepris son voyage »
    Chant féminin homophonique en grec que les femmes du village valacophone de Palioseli (massif du Pinde) chantent « quand elles partent dans les montagnes ». 

     
  17. Kato ston Agio Gianni - Κάτω στον Αγιο Γιάννη 
    « Là-bas à Saint-Jean »
    Danse « makroulos » exécutée par les femmes du village grec de Potamia en Cappadoce (Asie mineure). D’après des enregistrements historiques de 1930 conservés dans les archives du folklore musical du Melpo Merlier Center for Asia Minor Studies (CD « Songs of Cappadocia », Musical Folklore Archive of Melpo Merlier Center for Asia Minor Studies, piste 9).

     
  18. De laleis glyko moy aydoni Δε λαλείς γλυκό μου αηδόνι
    « Tu ne chantes plus, mon doux rossignol »
    Chant de danse historique en grec interprété par les femmes à la sortie de l’église lors de grandes festivités locales (danse « syrtos »), qui évoque la résistance aux envahisseurs. Village bilingue (hellénophone et slavophone) de Volakas, dans la région grecque de Drama (Nord-Est macédonien). On retrouve la même mélodie, sur une danse « syrtos », avec des paroles similaires, en Grèce continentale. Il s’agissait à l’origine d’une chanson en l’honneur des héros montagnards, enregistrée par Rosa Eskenazy en 1938. (Columbia Records, référence DG 6400). 
    Les habitants de Volakas ont adapté les paroles à leur histoire locale de Macédoine orientale et à leurs combats contre les Turcs (Ottomans), les Bulgares et, plus tard, les forces germano-bulgares de l’Axe durant la Seconde Guerre mondiale, en donnant un nom local aux « hautes montagnes » (Falakron).

     
  19. Vini uara uara l'i - Ήρθε η μεγάλη στιγμή
    « Le grand moment est arrivé »
    Chant funèbre hétérophonique en valaque du village de Samarina, dans la région de Grevena, au nord du Pinde, entre la Macédoine occidentale grecque et l’Épire, entonné « quand on emporte le défunt (au cimetière) ». Village de Falani (région de Larisa). Chanté par un groupe féminin.
    Voir Athena Katsanevaki: « Chants valaques et grecs du nord du massif du Pinde. Une approche historico-ethno-musicologique: leur archaïsme et leurs relations avec le contexte historique », thèse de doctorat (en grec), partie B, volume II, extrait musical 59, p. 324-331.

     
  20. Mariola – Siko Mariola apo tin gi  (II) - Σήκω Μαριόλα από τη γή
    « Relève-toi, jolie fille, et sors de terre ! »
    Un chant funèbre en grec du village valacophone de Metsovo (massif du Pinde). Chanté par un groupe féminin.
    Voix traditionnelles de l’enregistrement original sur le terrain (1995): Xryso Georgeli, 69 ans; Maria Vadevouli, 42 ans; Zoi Vadevouli, 42

     
    Sauf mention particulière, toutes les plages de ce CD ont été réalisées d'après des enregistrements "de terrain" datant de 1995 à 2007 du Dr. A. Katsanevaki, acompagnée pour les plages 2,3,4,6,8,9 du Dr. Eckehard Pistrick.