PLÔW-TCHA (le livret)
Mélodies villageoises
L'histoire du Cambodge, depuis son indépendance en 1953, n’est qu’une longue succession quasi ininterrompue de violences et de tourments auxquels le monde rural a payé un très lourd tribut. Entre 1970 et 1973, les B52 américains vont déverser plus d’une centaine de milliers de tonnes de bombes sur la campagne cambodgienne alors largement sympathisante à l’opposition communiste. Mais les pires moments de cette histoire sanglante furent certainement les années 1975 -1978 durant lesquelles Pol Pot et ses Khmers rouges vont se livrer à un véritable « autogénocide » qui fera, selon les estimations, deux à trois millions de morts. Durant l’occupation vietnamienne (1978-1989), et ensuite sous la tutelle de l’ONU et la période de pacification, le village de Rohal a toutefois été protégé de la guérilla khmère et des mines en raison de sa situation enclavée dans le site d’Angkor. En mémoire de ces temps difficiles et pour témoigner de la pérennité de la culture khmère, les villageois-musiciens de Rohal ont choisi d’appeler ce disque Plôw tcha (ou Phleuv chas), « le vieux sentier ».
Le village de Rohal
Le petit village de Rohal regroupe un ensemble de hameaux qui hébergent généralement chacun une famille et ses ramifications. Dans cet endroit reculé, les habitations sont encore traditionnelles: maisons en bois construites sur piliers, toitures en branches de palmier à sucre et d’herbe à paillotes. La culture du riz constitue la principale activité du village. Il y a peu encore, l’exploitation forestière permettait d’accéder aux échanges monétaires. Au marché de la ville de Siem Reap, à vingt kilomètres de Rohal, les villageois vendaient le bois, le latex et diverses résines nécessaires à la fabrication de l’encens. A leur tour, ils achetaient du sel, du prahok - un condiment à base de poisson -, et du poisson séché. Depuis 1995, la protection accrue du site et le développement du tourisme ont transformé partiellement l’économie locale. L’exploitation forestière et l’expansion des terres cultivables sont aujourd’hui strictement limitées dans le secteur des temples. En revanche, l’artisanat et la demande croissante en services divers provoquée par le développement de l’industrie touristique génèrent d’importantes sources de revenus dont les villageois de la région profitent indirectement. Le niveau de vie de la population - même s’il s’est légèrement amélioré - reste cependant précaire, et les structures communautaires, pratiquement inexistantes: hormis l’ouverture récente d’une école primaire près du site, les chemins sont toujours impraticables à la saison des pluies, et il n’y a ni réseau électrique ni réseau de distribution d’eau potable.
Musiques & instruments
La musique rurale cambodgienne est présente lors de toutes les fêtes et cérémonies religieuses et son lieu d’expression par excellence est la pagode. Une quinzaine de fêtes s’y déroulent par an: la fête des morts (principalement en octobre), les fêtes pour célébrer le début et la fin de la saison des pluies, la célébration de certains mois lunaires, l’engagement religieux aux différents âges de la vie, etc.
La musique est également indispensable aux cérémonies de mariage qui durent deux jours. Le premier jour, les musiciens interviennent entre les cérémonies. Le second jour, ils se produisent le matin, avant l’arrivée des invités, vers dix heures, et au repas de noces. Mais la musique est aussi présente lors des fêtes annuelles (fête des eaux, fête du nouvel an en avril ) et, plus rarement, des fêtes occasionnelles organisées par des particuliers. Enfin, les représentations pour les touristes, en constante augmentation, compensent progressivement la baisse de la demande collective.
Dans les campagnes, les musiciens sont tantôt des agriculteurs, tantôt des artisans ou des commerçants ; dans les villes, de nombreux groupes se composent de musiciens professionnels.
Un ensemble villageois comprend généralement une ou plusieurs vièles ou « violons chinois » (tro) à deux ou quatre cordes avec archet, un tambour (sko) et une cithare (kum ou khem), auxquels peuvent s’ajouter, pour la rythmique, comme dans ces enregistrements, l’une ou l’autre percussion improvisée telle cette bouteille de bière vide frappée par une cuillère en métal. La pratique instrumentale s’acquiert au contact des anciens, et chacun peut devenir musicien ; mais les traditions familiales prédominent dans la transmission. Dans les villes et les agglomérations, où peu à peu la variété internationale s’impose, il est fréquent que des morceaux traditionnels soient revisités pour répondre aux exigences de la mode et du jeune public : les thèmes sont alors aménagés, les rythmes modifiés, et certains instruments traditionnels parfois même remplacés par une guitare électrique, une batterie… Mais la tradition musicale ne serait-elle préservée dans les campagnes que « grâce à » l’énorme déficit en développement dont souffre le monde rural ? Mi Sot, la chanteuse du groupe, avait à peine quatorze ans lors de ces enregistrements. Trois générations de musiciens arpentent aujourd’hui simultanément le vieux sentier qui longe l’enceinte d’un temple en ruine, le Ta Prohm, jusqu’au village. Aussi loin qu’on puisse s’en souvenir, il en est ainsi au Cambodge.
le CD : les titres
|