QUAN HO (le livret)
Ballades galantes, chants d'amitié
On sait très peu de choses sur l’origine exacte du chant quan ho, si ce n’est que sa pratique est très ancienne et, à l’évidence, qu’elle est toujours très vivace dans les traditions populaires. Selon une légende, en des temps reculés, les notables d’un village invitèrent ceux du village voisin à partager avec eux les rites et les cérémonies annuelles dédiés à leur génie tutélaire afin de resserrer les liens entre les deux communautés. Les invités acceptèrent, mais ce furent bientôt tous les villageois qui se retrouvèrent au rendez-vous annuel. Durant ces festivités, les garçons et les filles des deux villages s’opposaient amicalement au cours de joutes musicales puisant leur inspiration dans la diversité de la vie quotidienne et dans leur indéfectible fraternité… La tradition s’est maintenue et, progressivement, d’autres villages voisins l’ont adoptée.
Au-delà de la beauté des chants quan ho et de l’exercice de style – et vocal – qu’ils représentent, une symbolique toute empreinte de convivialité et d’entraide s’est ainsi développée au travers de cette pratique musicale. Les plus jeunes y trouvèrent aussi une occasion d’exprimer leurs sentiments amoureux dans l’espoir peut-être d’une relation moins platonique…
« Les chants couvrent le bruit des bombes »
Ni l’histoire mouvementée du Viêt-nam en général, et encore moins la guerre dévastatrice que lui livrèrent les Etats-Unis (1963-1973), ni les récentes et brutales réformes économiques (1980-1990), n’ont eu raison du quan ho, bien au contraire. Tout dans ces chants qui «rendent la vie plus heureuse», appelle à la fraternité et à l’entraide entre les communautés villageoises. Les chants quan ho, tout comme les chants révolutionnaires, furent un catalyseur culturel non négligeable de la résistance du peuple vietnamien lors des bombardements intensifs effectués sur le Nord Viêt-nam par l’aviation américaine. Ces chants, apparemment anodins et d’un autre âge, inspirent le respect, car ils symbolisent un héritage populaire de solidarité, lequel s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la ligne idéologique d’une gouvernance communiste.
Traditionnellement, le quan ho est toujours chanté en couple de même sexe auquel répondra un couple du sexe opposé n’appartenant pas au même village. La structure du chant lui-même est également très codifiée. Ainsi, au cours du jeu subtil des questions et des réponses qui s’articulent entre les couples de villages différents, les réponses ne peuvent pas contenir les mots déjà utilisés lors de la formulation de la question, mais le mode musical doit être identique. Le quan ho demande donc un sens certain de la répartie poétique, laquelle est généralement préparée et répétée d’une rencontre à l’autre. A l’origine, aucun instrument n’accompagnait le quan ho, mais, aujourd’hui, il est assez fréquent de rencontrer dans les ensembles traditionnels (Ðoan dân ca) un dàn bâu, généralement équipé d’un amplificateur électrique. Cemonocorde est particulier au Viêt-nam et ne connaît aucun équivalent dans tout le Sud-Est asiatique. Cet instrument, dont les sonorités très variées présentent parfois d’étranges similitudes avec les intonations de la voix humaine, tient à la fois de la cithare et de l’arc musical. Les enregistrements de ce disque effectués à Bać Ninh sont accompagnés d’un tel instrument.
Le quan ho a subi ces dernières années de nombreuses adaptations, non au niveau des chants eux-mêmes et de leur principe d’exécution en couple, mais précisément dans les accompagnements musicaux, ceux-ci étant parfois même très audacieux (synthétiseur…). Des danses accompagnent également certaines prestations, surtout lors de tournées officielles à l’étranger, mais les versions les plus modernisées passent aujourd’hui sous forme de «clips» sur la chaîne nationale de la télévision vietnamienne. Le quan ho, dans sa forme originale, anime cependant encore de nombreuses fêtes à la campagne, particulièrement celles des mariages qui ont lieu au printemps et celles du nouvel an lunaire vietnamien, le Têt. Un quan ho complet comprend plus de cinq cents chants et peut durer trois jours. Les chants du quan ho ne portent pas de nom, mais trois parties distinctes subdivisent l’ensemble du répertoire : la première partie comprend les chants qui évoquent la rencontre et l’accueil (la răng), la deuxième, ceux qui font allusion aux cours d’amour, à l’intimité et à l’échange en général (giong văt), enfin, la dernière, comprend les chants qui abordent le thème de la séparation (già ban).
Aujourd’hui, le quan ho est pratiqué activement dans une cinquantaine de villages, essentiellement répartis dans la province de Băć Ninh et, dans une moindre mesure, dans celle de Băć Gian, toutes deux situées au nord-est d’Hanoď. Le quan ho étant considéré par les Vietnamiens du Nord comme un héritage culturel important, depuis 1994, le gouvernement, conscient aussi du sentiment de cohésion nationale qu’il exprime, a déployé des efforts considérables pour préserver cette tradition et en assurer la continuité. La tradition orale du quan ho a ainsi été récemment entièrement retranscrite, un centre culturel lui a été consacré et une école secondaire de quan ho à Bać Ninh offre aujourd’hui aux jeunes générations un accès structuré à son enseignement.
Ces enregistrements ont été réalisés dans le village (thôm) de Viêm Xá et dans la ville de Bać Ninh, chef-lieu de la province du même nom.
le CD: les titres
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