RIPPO  (le livret)
Musiques pulaar



La Mauritanie fut créée artificiellement par la France pour servir sa stratégie coloniale et réunir son empire d’Afrique du Nord et d’Afrique noire.
Situé à l’extrême ouest de l’Afrique, entre le fleuve Sénégal au sud et le Sahara occidental au nord, ce pays immense de plus d’un million de kilomètres carrés constitue un espace de transition entre le Maghreb et l’Afrique noire. Considérée par l’administration coloniale comme un territoire de seconde zone, la Mauritanie était administrée à partir de Saint-Louis au Sénégal jusqu’en 1957, date à laquelle on la dote d’une capitale – tout aussi artificielle – Nouakchott. Devenue indépendante (en novembre 1960), la Mauritanie héritera des fortes tensions qui ont toujours opposé dans la région les populations arabo-berbères et négro-africaines. A cette cohabitation difficile s’ajoutera la délicate question du Sahara occidental avec, dans un premier temps (1975), l’alignement de la Mauritanie sur la politique marocaine d’annexion et de partage de l’ancienne colonie espagnole. Cette entrée dans le conflit et les revers militaires essuyés face au Polisario provoquèrent un coup d’Etat (1978) suivi d’un désengagement rapide au Sahara occidental. La Mauritanie reconnaîtra en 1984 la République arabe sahraouie démocratique (RASD) dont le gouvernement en exil se trouve toujours en Algérie. 

Mais au-delà d’une opposition raciale réductrice entre Blancs et Noirs, les tensions au sein de la population mauritanienne sont aussi d’ordre social et économique. L’établissement de frontières ainsi que la guerre au Sahara occidental ont profondément désorganisé le grand nomadisme. D’autre part, les sécheresses successives ont poussé les pasteurs des troupeaux décimés à se sédentariser dans les bidonvilles de Nouakchott ou dans des régions traditionnellement occupées par des populations sédentaires noires, comme la vallée du fleuve Sénégal et toute la partie méridionale de la Mauritanie. Face aux Maures, majoritaires, et à leur politique d’arabisation et aux conflits fonciers, la minorité noire, en pleine explosion démographique, s’est organisée depuis une vingtaine d’années en réel mouvement d’opposition. Quoique normalisée aujourd’hui, la situation politique interne de la Mauritanie n’en reste pas moins explosive et préoccupante quant au respect des droits de l’homme.

Deux groupes composent principalement la minorité noire de Mauritanie : les Soninkés et les Haalpulaar’en. Ces derniers sont ceux qui – littéralement – parlent le pulaar1. L’origine des Peuls reste un sujet de controverse, quoiqu’il semble vraisemblable que ces éleveurs nomades, en perpétuelle recherche de nouveaux pâturages, aient migré de l’ouest du Sahara et du Mali vers la vallée du Sénégal pour s’y mêler aux populations autochtones et en adopter les langues. Les Peuls eux-mêmes font remonter leurs origines aux civilisations néolithiques de l’Egypte ancienne. Quoi qu’il en soit, les Peuls, ou Foulbé comme ils se nomment eux-mêmes, sont aujourd’hui présents dans tous les pays de l’Afrique de l’Ouest et même jusqu’au Soudan. Les Peuls se divisent en plusieurs lignages patrilinéaires, en clans, en castes et en groupes territoriaux, formant un ensemble identitaire complexe. On distingue également les Peuls « citadins » des Peuls nomades. En grande majorité, les Peuls sont musulmans. Les Peuls du Fuuta se considèrent comme des Mauritano-sénégalais (ou des Sénégalo-mauritaniens !), puisque cette région – le Fuuta – a été arbitrairement divisée lors de la colonisation par une frontière politique. La rive droite du fleuve Sénégal appartient à la Mauritanie, et la rive gauche, au Sénégal. Mais ne dit-on pas là-bas que « les Haalpulaar’en sont tous du même grand-père ; ils ont seulement un père d’un côté du fleuve, une mère de l’autre ? »

Le Fuuta comprend les régions du Damga, du Bossoya, du Lawe, du Tooro, du Hebiljaabe et du Yirlaabe. Les populations haalpulaar’en qui y vivent se subdivisent en « castes » : les Foulbé, Tooroobé, Sébé, Soubalebé, Diawebé, Wayeloubé, Aweloubé, Maboulé, Wambabé et Galoumkobé.


La pratique musicale
La musique pulaar, du Fuuta comprend une dizaine de modes musicaux et quatre grands rythmes : le wango, le naale, le yeéla et le rippo. Le rippo est un rythme pour danser, spécifique à la culture haalpulaar’en. Rippo vient de rippoudé, qui signifie produire un son dansant ou cadencé. Si le rythme rippo, moderne et citadin, celui de Nouakchott, connaît aujourd’hui de profonds bouleversements par l’introduction d’instruments électriques et par son métissage avec les musiques maures et bambara, le rippo « de brousse » perpétue quant à lui une tradition identitaire toujours pleine de vitalité, et force est de constater, comme en témoigne ces enregistrements, qu’il n’y a pas de rupture entre tradition et modernité.

Mussa Watt, avant de s’exiler et de demander l’asile politique en France, dirigeait dans le quartier n°5 du centre ville de Nouakchott un groupe nommé Rippo. Youba Samba Sire Guisse, qui joue ici du hoddou – un luth à quatre cordes nommé tidinit chez les Maures – se produit également en dehors du Rippo dans un ensemble très en vogue dans la capitale, tandis qu’Ousman Fall, qui joue ici du toumboudé ou « tambour d’eau », est également connu comme batteur de jazz au Sénégal, de l’autre côté du fleuve, à Saint-Louis. Le toumboudé est composé d’une bassine ou d’une demi-calebasse de grande taille remplie d’eau sur laquelle flotte une demi-calebasse retournée, plus petite, que l’on frappe pour accompagner les chants et les danses2. N’Djengoudi Thiam joue quant à lui d’un instrument très répandu en Afrique, le tambour à aisselles en forme de sablier appelé bouba


Enregistré à Thiélaw (mars 2002) dans le Fuuta, Mauritanie.  



1.  La déformation française de pulaar, ou de son synonyme poullo, a donné le mot « Peul ».
2.  Chez leurs voisins les Mandingues du Sénégal, tout comme chez les Bambaras du Mali, on rencontre fréquemment ce type de « tambour d’eau » appelé djidoumdoum. Extraits à découvrir, dans la même collection, sur le CD Niami - Chants et rythmes de la communauté mandingue par les femmes du village de Malemba, au Sénégal (plages 3 et 7 - ColCD118).


 

le CD: les titres


  1. Banndam - "Mon parrain" / Rythme yeéla, mode baleewo
    « La tentation est grande de quitter sa terre natale. Mais si tu ne sais pas où tu vas, retourne d’où tu viens. »  

  2. Lenngoowele  - "La veillée de noces" / Rythme wango, mode baleewo
    Lenngoowele ou « celle qui chante le lennghi », vient de lennghi, qui signifie la nuit de noces.

  3. Instrumental - Rythme lembel, mode raneewo

  4. Haaloobe  - "Les gens qui parlent", "les commérages" / Rythme rippo, mode kaassa dowe
    « Les mauvaises langues sont partout, jamais devant toi, toujours dans ton dos. »  

  5. Lenôlame  - "Notre caste" / Rythme legnolame, mode ndiarou
    Ce chant évoque l’ancienne organisation sociale très hiérarchisée des Peuls.  

  6. Instrumental   - Rythme yeéla, mode baleewo

  7. Jamfa - "Trahison"  / Rythme rippo, mode kaassa lesse
    Cette chanson retrace une histoire de confiance donnée à une personne aimée… et trahie par la suite. 

  8. Guido guidoma  - "L’ami de ton ami" / Rythme naale, mode kaassa lesse
    « L’ami de ton ami est mon ami. L’ennemi de ton ami devient mon ennemi. »

  9. Mbagne Samba (du nom d’un village) / Rythme afro, mode kaassa lesse
    Quatre frères chasseurs attrapent un hippopotame et se le partagent sans en avertir leur frère cadet qui est aveugle. Celui-ci, meurtri, fait ses bagages et s’en va vivre seul…

  10. Rippo Diolli  - "Rippo est arrivé !"  / Rythme rippo, mode raneewo
    Ce chant témoigne du respect et de la gratitude envers une personne estimée.