SAYHURI (le livret)
Rythmes et danses de l'Altiplano
Contrairement à l’impression de désolation qu’en retiennent parfois les voyageurs, la région de Puno, située à l’extrémité sud-est du Pérou, est une terre de richesses et de diversité : son haut plateau sert de pâturage aux troupeaux d’alpacas, de vigognes et de lamas et produit les meilleures laines du monde. Les cultures en terrasses, bien qu’exploitées à 50% seulement, procurent de nombreuses variétés de céréales et de tubercules riches en contenus énergétiques. Les vallées de San Juan del Oro et de San Gabán, au climat moins rude, sont productrices d’ananas, de riz, d’oranges, de bananes. La région compte également de nombreuses exploitations minières (or, argent, uranium, cuivre) malheureusement très polluantes et sans réelles retombées économiques pour la population locale.
Moins de deux millions de personnes, dont une majorité d’Indiens Aymara et Quechua, vivent dans cette région aussi vaste que la Belgique et les Pays-Bas réunis. La région de Puno se subdivise administrativement en treize provinces et plus d’une centaine de districts. La ville de Puno elle-même, chef-lieu de la région, est située à plus de 3800 mètres d’altitude, au bord du Lac Titicaca, le plus haut lac navigable au monde. Aux yeux du gouvernement central de Lima cette région ne présente guère d’intérêt, son seul attrait étant touristique. De plus, l’endroit est assez inhospitalier par son altitude, son climat froid et ses vents violents. Mais, la proximité de la frontière a également encouragé une importante industrie parallèle et illégale de productions textiles de contrebande, particulièrement autour de Juliaca et de Puno, les principales villes frontalières avec la Bolivie qui s’étend de l’autre côté du lac. L’existence même des maquilas, ces petits ateliers clandestins de contrefaçon, disséminés dans le tissu urbain, génère d’importants problèmes de délinquance, de trafics en tout genre et d’exploitation de la main-œuvre, particulièrement celle des enfants.
Selon une légende, Puno est le berceau de la civilisation inca : le mythique Manco Capac serait sorti des eaux du Titicaca sur les ordres du Dieu-Soleil pour fonder l'Empire inca. L’archéologie moderne a toutefois révélé que de nombreux peuplements se sont succédé sur l’Altiplano péruvien avant l’arrivée des Incas. Le plus ancien de ces peuplements, la puissante et progressiste culture Pukina, remonte à 10 000 avant JC. L’actuelle Puno fut fondée en 1668 par les Espagnols qui voulaient exploiter le potentiel minier de la région. Au fil du temps, elle est devenue un lieu de rencontre et d’échange pour les différentes cultures qui résistent depuis cinq siècles aux tentatives d’homogénéisation des colons espagnols et au racisme de leurs descendants. Lors des indépendances des nouveaux Etats sud-américains, au XIXe siècle, les frontières de ceux-ci ont été définies sans prendre en considération celles déjà existantes du Qulla Suyu – la province du sud de l’empire Inca –, méprisant la forte organisation sociale des peuples Aymara et Quechua, leurs langues distinctes, leurs lois propres et une cosmologie différente…
Le rapport à la terre
Les communautés paysannes de Puno sont des entités sociales et économiques dynamiques, constituées de familles nucléaires. Elles ont leurs propres valeurs et leurs normes culturelles qui régissent la vie communautaire. Leurs activités principales sont l’agriculture et l’élevage. Les techniques agricoles sont restées ancestrales et, de fait, respectent l’équilibre de l’écosystème andin. Les habitants améliorent leurs revenus par d’autres activités, telles l’artisanat, le tissage, le petit commerce informel. L’organisation du travail est spécifique à la région des hauts plateaux : toute la famille participe, des enfants aux vieillards. Pour les travaux plus lourds et d’intérêt public, les hommes et les femmes valides unissent leurs efforts (mink’a). Les pâturages sur les hauteurs constituent les terres communales collectives, tandis que les basses terres des vallons, mieux irriguées, appartiennent aux familles. On estime ainsi à 40% les terres péruviennes appartenant aux communautés.
Les wakas (les ancêtres), les apus (les esprits, la montagne) et la Pachamama (la Terre mère) sont des êtres interdépendants, qui travaillent ensemble la terre.et président aux récoltes. Pour l’homme andin, le monde est divisé en trois : Kaypacha (la terre des êtres vivants), Ukhupacha (le sous-sol des êtres inertes) et Hanaqpacha (l’espace des êtres surnaturels, des dieux et des âmes qui se meurent). Tous les éléments naturels, les montagnes, les roches, les animaux, mais aussi le vent, la neige ou la pluie sont vivants. L’agriculture est réglée par des mythes et des légendes, basés sur la redistribution, la réciprocité, la compréhension, la solidarité.
Des projets de développement agricole – modernes et individualisés, selon le modèle capitaliste – ont été encouragés, et des parcelles témoins de culture de pomme de terre commerciale et de production de semences ont été aménagées. Le gouvernement a incité les agriculteurs à reproduire intensivement ces modèles et à utiliser les produits phytosanitaires, mis gratuitement à disposition au début. Progressivement, sans l’apport de semences améliorées, de fertilisants chimiques, etc., le rendement a diminué, au point que la production de pommes de terre aujourd’hui n’est plus rentable.
L’introduction de nouvelles techniques agricoles, mécanisées et chimiques, l’irrigation et les pesticides, supplantent peu à peu les pratiques agricoles traditionnelles, telles les terrasses andines et les jachères. Les changements alimentaires ont également aujourd’hui une incidence directe sur l’agriculture andine. Au lieu de consommer les produits andins, dépréciés par les citadins, les habitants des communautés se mettent à manger du poulet, du riz ou des pâtes, aliments importés que l’on ne peut pas produire sur les hauts plateaux…
Les chemins de l’acculturation
Puno est considérée comme la capitale du folklore péruvien. La région compte de nombreuses danses différentes, plus de trois cents selon certaines sources. La diablada, la morenada, la llamerada, la marinera puneña et la pandilla puneña sont les plus connues. Les nombreuses fêtes religieuses sont autant d’occasions pour danser et jouer de la musique. L’événement le plus important est dédié à la patronne de Puno, la Vierge de la Candelaria (la chandeleur). Il a lieu la première semaine de février ; les différentes corporations et les représentations des quartiers et des communautés de tout le district et même au-delà défilent et dansent en cortèges dans la ville. Les danses de carnaval sont quant à elles plus colorées : danses rituelles, érotiques, agricoles ou carnavalesques, ces danses, accompagnent une musique rythmée, exécutée à l’aide de « pinquillos», de « bombos », de tambours, de flûtes et de mandolines. Les festivités du carnaval rendent hommage au printemps et aux champs en pleine floraison. Hommes et femmes, vêtus de costumes hauts en couleurs et spécifiques à chaque communauté, expriment le sentiment amoureux, les femmes par des mouvements sensuels et les hommes en feignant l’indifférence pour ceux-ci, du moins au début.
Si les fêtes rencontrent toujours un intérêt certain, il faut cependant déplorer au cours de cette dernière décennie l’émergence d’une « mixité » culturelle au nom de laquelle certaines danses et certaines musiques deviennent de simples produits de consommation vidés de leur sens premier. Costumes criards de pacotille, hypersexualisation, minijupes et cuissardes, chorégraphies d’opérette,… les influences « modernes » venues de la Bolivie toute proche, et du Brésil par la télévision, remplacent progressivement les rythmes, les danses et les costumes traditionnels des Andes. La mise en concurrence des différentes formations et « écoles » qui défilent pousse également à la surenchère, au détriment des valeurs traditionnelles et de la continuité.
Le groupe Son Quenas résulte en 2002 de la fusion d’un groupe de jeunes musiciens traditionnels jouant d’instruments à vent et d’une association de danse. A l’origine la plupart d’entre eux étaient étudiants et poursuivaient une formation à l’université. Au début, le groupe, qui comprend sept musiciens et douze couples de danseurs et de danseuses, se rendait dans les villages de la région de Puno pour participer bénévolement aux fêtes communautaires et, en retour, y apprendre les rythmes particuliers. Aujourd’hui, le succès aidant, mais surtout par nécessité et opportunité économique, le groupe est rémunéré pour ses prestations. Son répertoire habituel comprend une trentaine de chansons et une vingtaine de danses couvrant les traditions de la région, mais également de tout le Pérou et, occasionnellement, de la Bolivie. Particulièrement apprécié par les hôteliers, le groupe se produit pour les touristes privilégiant un répertoire simplifié, dynamique et entrainant (« contagiosa »), afin d’amener ceux-ci à danser avec eux les diabladas, morenadas et autres farandoles… Parallèlement à ces animations alimentaires, à la demande, même si celles-ci se font plus rares, le groupe perpétue également les versions traditionnelles des chants et danses de Puno, telles qu’ils sont reproduits sur ce disque.
Sayhuri, en quechua, signifie « la nouvelle génération » ou « se lever ». En aymara, c’est le « tissage ».
le CD: les titres
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