TENGIS (le livret)
Chants du peuple darkhad
Les Darkhads ont élu domicile dans la province de Khövsgöl au nord-ouest de la Mongolie. Installés dans d’immenses vallées steppiques encerclées de montagnes rocheuses qu’ils nomment chichged, ces pasteurs nomades vivent principalement de l’élevage des « cinq museaux » : chevaux, moutons, chèvres, chameaux, bovins. La vache habituellement rencontrée dans les autres provinces de Mongolie est remplacée ici par le yack, seul capable de donner du lait tout au long de l’année. L’hiver dans cette région est particulièrement rigoureux, même pour un pays au climat extrêmement continental comme la Mongolie. Il commence en octobre et se terminera fin mars. En janvier et en février, la température descend jusqu’à –50 degrés. Tengis est situé dans le coude d’une rivière au nord du village. Cet endroit est réputé pour sa froidure.
En 1921, le parrainage de l’Union soviétique succéda à la longue domination mandchoue. La Mongolie devint le premier satellite de l’URSS. La volonté de Moscou était de sédentariser une partie de la population pour l’employer dans les services publics et l’aide technique aux coopératives d’élevage, les Negdel. Aujourd’hui, ces coopératives ont disparu, mais les villages qui logeaient les populations sédentarisées existent toujours. L’aide financière russe qui portait ce projet de société à bout de bras s’est interrompue depuis le démantèlement du bloc soviétique à la fin des années quatre-vingt.
Le village de Rintchinlkhumbe, l’une des quatre localités logées dans la vallée, compte actuellement trois mille habitants. La vie de ces habitants dépend maintenant de la relation qu’ils entretiennent avec les familles restées nomades. Un des membres de chaque famille réside au village. Celui-ci sert de tête de pont vers les facilités et les produits de la vie sédentaire. En retour, les villageois achètent du bétail laissé en garde à ces familles de pasteurs qui leur doivent alors une part des produits tirés de l’élevage de ces animaux (produits laitiers, viandes, peaux, …). Ces relations, fondées au départ sur un lien familial ou, plus rarement, d’amitié, s’officialisent lors de fêtes comme le nouvel an lunaire (Tsagaan sar ), au moment de l’échange de vœux et de cadeaux.
Jusqu’il y a peu, la vie des éleveurs et des populations rurales restait éloignée de l’influence des lois de marché. La mode du cachemire a bouleversé cette donne. Les éleveurs le vendent à prix d’or. Alors que depuis des centaines d’années, la chèvre jouait un rôle secondaire dans l’élevage mongol, les éleveurs en achètent aujourd’hui énormément, provoquant une détérioration rapide des pâturages les plus accessibles. En termes d’argent, ils sont de plus en plus riches, mais ils doivent évoluer sur des pâturages de plus en plus pauvres. S’institue alors un bras de fer entre technique d’élevage élaborée à travers les âges et logique économique. Les armes de cette dernière sont puissantes. L’électricité arrive au village à 20h00. Les téléviseurs s’allument et les sitcoms vantent le mode de vie occidental.
Reste que les Darkhads sont fiers de ce qu’ils sont, de leur mode de vie et de leur histoire. Durant l’époque médiévale et l’épopée de Cinggis-Khaan, ces hommes du grand Nord mongol étaient reconnus pour leurs dons chamaniques. Bien que parlant le mongol khalkha (langue de l’ethnie dominante et langue officielle de la Mongolie), les Darkhads perpétuent jalousement leur dialecte à l’accent traînant et montant dans les aigus à la fin des mots.
Chants longs et courts, chants d’éloge et chants populaires
Ce disque présente la pratique musicale des Darkhads du village de Rintchinlkhumbe. Le « Chichgedin oianga », littéralement le « Groupe de la vallée », interprète les styles propres à l’ensemble des populations mongoles mais, le répertoire est principalement darkhad. Il reprend parfois les chants des populations directement voisines : les Khotgoïds et les Tsataans qui vivent de l’élevage du renne dans les montagnes avoisinant la frontière russe.
Les chants courts sont effectivement de courte durée. Ils sont construits sur des mélodies pentatoniques. Une des pratiques habituelles des Darkhads est d’utiliser ces mélodies pour improviser de nouvelles paroles. L’occasion pour eux de mettre en musique un trait d’esprit ou une moquerie à propos d’un nouvel élément de leur environnement ou de leur entourage humain. Dans l’ensemble de la Mongolie, l’observation et le maniement subtil de la langue sont deux qualités très valorisées.
Le chant long est un style plus solennel. Chaque syllabe est étirée, nouée, dénouée et vocalisée à plaisir. Le texte ne compte guère plus que quelques phrases. Les moments de respiration sont rares et chargés symboliquement : la chanteuse reprend vie. Chez les Mongols, la vie et le souffle s’expriment par le même mot. La vièle cheval « Mörin Khüür » doit suivre les méandres de la voix sans jamais la devancer.
Le chant d’éloge, à la différence des chants long et court se caractérisent par l’abondance des paroles. Eloge d’un lieu, des actions de la vie quotidienne des pasteurs nomades, le chant d’éloge est généralement accompagné de la vièle. Les bardes « Tüülitch » se font vieux, et ce style n’est que peu repris par les jeunes qui lui préfèrent le chant court mieux adapté aux rythmes de la vie moderne.
Le chant populaire mongol est plus récent et chanté dans toute la Mongolie. Il a une forme couplet/refrain proche de ce que nous connaissons dans nos chansons populaires.
le CD: les titres
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