MASIMBA na ngombi  (le livret)
Musique pour harpe tsogo



La province de la Ngounié, d’où proviennent la plupart des musiciens tsogo, et son chef-lieu Mouila se trouvent à plus de quatre cents kilomètres de la capitale, Libreville. Les populations tsogo représentent un faible pourcentage de la population du Gabon. Leurs musiciens bénéficient cependant d’une certaine notoriété au niveau national, les Tsogo étant considérés comme les créateurs du rituel initiatique masculin de Bwete, largement répandu dans le pays et dans lequel la harpe ngombi occupe un rôle central.

On parle souvent de « pays des Tsogo » pour désigner la constellation de villages dessinant un arc de cercle au nord de Mimongo. Les Tsogo sont majoritaires dans ces villages où vivent également des communautés punu, masango ou encore akele. Cette géographie est attribuée aux migrations anciennes des populations depuis le nord de l’actuel Gabon. Certains villages se trouvent un peu en-dehors de cet arc historique et on observe aujourd'hui un développement vers Mouila et même une migration vers les grands centres urbains tels Libreville, fruit du dynamisme démographique des populations tsogo.

Au village, l’activité économique prédominante est l’exploitation du bois pour les besoins régionaux. La culture du manioc, de la banane, du taro et de l'arachide (comme l’élevage de chèvres ou de cochons) est destinée à la consommation locale. Si le territoire des Tsogo était réputé d’accès difficile dans les années 1960, aujourd’hui on peut se rendre quotidiennement en clando (taxi partagé) à Mouila pour travailler ou écouler les productions. Les communautés tsogo ne vivent pas dans un isolement géographique ou social. Les dynamiques de transformation de leurs cultures musicales sont à l’image de leur connexion constante au monde globalisé.

Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, les sociétés initiatiques masculines de Bwete, fondées sur la vision, et celles thérapeutiques féminines d’Ombudi, fondées sur la possession, ont connu un rayonnement national et les rites en sont aujourd’hui pratiqués à travers tout le pays.



Gabon 3Jeune fille préparée pour la cérémonie d'Ombudi et sa mère © A.Durieu - AfricaMuseum

Le ngombi est une harpe arquée à huit cordes accordée selon un système hexatonique de type la-si-do-ré-mi-sol. Le ngombi accompagne les répertoires vocaux qui occupent une place centrale dans les cérémonies rituelles et dont la sémantique est hautement symbolique. Parallèlement, l’instrument, très répandu dans la région, est aussi joué en dehors du cadre cérémoniel. On peut l’entendre lors de veillées, à la radio, dans les bars ou les dancings, ou encore sur différents supports d’enregistrement (CD, portables, etc.).

Les harpistes contemporains tsogo composent leur propre répertoire qu’ils enregistrent et commercialisent. Ces chants populaires sont appelés mayaya en langue tsogo, «tradimodernes» en français. L’attrait pour ce type de répertoires est important et suscite des enjeux nouveaux pour les musiciens qui investissent les salles de concert urbaines ou encore les plateformes numériques d’échange.

Les pièces proposées sur ce CD ont été enregistrées entre 2013 et 2017 dans les villages de Mokabo, Bandi, Bilengui. Les deux harpistes, Dieudonné «Monss» Mondjo et Dydas «Getseke» Hymbila, sont nganga (maîtres initiateurs) dans les cérémonies de Bwete et d’Ombudi, mais également des musiciens populaires reconnus dans leur région. Leurs compositions sont des arrangements de pièces anciennes dont ils adaptent les paroles pour le grand public. L’orchestration diffère, elle aussi, du contexte rituel, notamment par l’ajout d’un accompagnement percussif, le tambour à membrane mosumba (plages n° 4,6,7,9) ou encore une batterie (n°12), mais aussi par la mixité du chœur (n°13).

La sélection des pièces présentées, composées et arrangées par les musiciens dans un but de divertissement, pose un regard neuf et différent sur le patrimoine musical de cette région et le répertoire de la harpe ngombi.

« Masimba » signifie littéralement « l’accord » de la harpe , que l’on retrouve en prélude et postlude de chaque pièce.

 
le CD: les titres

  1. Gembeda signifie « le maquillage » en langue tsogo. C’est un chant issu du répertoire des sociétés d’Ombudi, interprété lorsque leurs membres se préparent pour une cérémonie. C’est également une invitation aux personnes non initiées à se tenir écartées du lieu de culte. 

  2. Mitombo mia gombudi peut se traduire par « les répertoires liturgiques de l’Ombudi ». Il s’agit de formules instrumentales de harpe accompagnant les parties vocales, déclamées ou chantées lors des rites et des cérémonies. Le terme « mitombo » désigne à la fois le répertoire liturgique et les différentes figures rythmiques. Les mitombo fournissent un support instrumental à la parole sacrée. Il s'agit ici d'une compilation des différentes thématiques abordées lors des cérémonies de l’Ombudi ponctuées par un sifflet en douille de fusil de chasse, obembe.
     
  3. Ngwa dede est le nom d’une danse rituelle pratiquée par les femmes. Elle est interprétée par le harpiste, un chœur et un accompagnement rythmique exécuté par deux percussionnistes sur une poutre percutée, bake.  

  4. Ebando, « l'origine », est un chant extrait d’une cérémonie thérapeutique de l’Ombudi. À la tombée de la nuit, alors que la plupart des femmes prennent place à l’intérieur du tede, la maison de culte des femmes, et se préparent pour la veillée nocturne en se maquillant en exécutant différents chants a cappella. Successivement, chaque femme vient entonner une pièce de son choix.

  5. Ce mitombo est un chant liturgique exécuté lors des rituels des cérémonies masculines de Bwete. Les mitombo comportent traditionnellement de longues parties instrumentales et sont, par excellence, représentatifs des veillées d'initiation au Bwete. Les mitombo sont joués dans le mbandja (maison de culte des hommes), lorsque les néophytes ingèrent l’iboga, une plante hallucinogène qui leur permettra de « voir » le monde invisible. Les enregistrements d’archives, de 1960 à aujourd’hui, confirment la remarquable stabilité de ce répertoire sur une période de plus d’un demi-siècle.

  6. Motombi est le nom du Copaifera religiosa, un arbre à l’écorce rouge, employé dans les pharmacopées de guérison des ngangas (maîtres-initiateurs). Cet arbre tient un rôle fondamental dans la mythologie du Bwete et est considéré comme sacré par ses adeptes.

  7. Getogome est une danse du Bwete qui pourrait se traduire par « ne pas transpirer ». Elle est exécutée lors de l’initiation des néophytes, lorsque que ceux-ci sont « bousculés » par les kombwe, les anciens initiés, afin de vérifier leur état de conscience et inviter l’âme à quitter son enveloppe charnelle pour réaliser son voyage astral. Un accompagnement rythmique est joué ici sur un tambour à membrane mosumba, mais, traditionnellement, celui-ci n'accompagne pas la harpe en contexte rituel.

  8. Mobu, « l'océan », est également un chant issu du répertoire des cérémonies de Bwete dont les paroles sont hautement allégoriques. Les différents niveaux d’interprétation des paroles enseignées lors des cérémonies rituelles et la croyance en leurs significations sont les réels gardiens du secret du Bwete, ce qui permet aux musiciens de jouer ces chants sacrés dans des sphères profanes, puisque « les profanes ne peuvent pas comprendre ». On peut entendre un accompagnement rythmique joué par le bake et la pulsation ternaire marquée par le hochet soke. On distingue également des parties parlées sur la pièce qui fait écho aux litanies du povi, le dépositaire de la parole sacrée, dans le cadre cérémoniel.

  9. Masangu désigne les populations masango voisines avec lesquelles les Tsogo entretiennent des rapports privilégiés, des filiations claniques reconnues et autorisées. Les deux communautés partagent un même patrimoine rituel et musical, et ont probablement une origine migratoire commune. Ce morceau est habituellement joué lors des étapes paraliturgiques des cérémonies de Bwete qui opèrent comme des étapes de récréation entre les étapes liturgiques. Toutefois, ce contexte profane peut, à tout moment, prendre des aspects religieux. Dans le jeu de la harpe, on peut distinguer un motif mélodique caractéristique des pièces instrumentales du répertoire mitombo.

  10. Yuma, « le bagage »,ou, par extension, la connaissance qu’une personne peut acquérir au cours de sa vie. Il s’agit également d’une pièce paraliturgique des cérémonies de harpistes. Le chœur répond par une phrase à chaque couplet du harpiste-soliste. La réponse varie au cours de la progression du morceau pour finir sur une réponse courte qui induit un léger accelerando dans le jeu.

  11. Mitombo 

  12. Mobota est le nom donné à la mère qui vient d’enfanter. Il s’agit d’une pièce liturgique des cérémonies de Bwete qui fait allusion tant au travail de l’accouchement qui s’effectue traditionnellement à la maison, entre femmes, qu'à la renaissance initiatique du jeune initié et à la coupure symbolique du cordon ombilical qui le reliait au monde profane. Les cérémonies de sortie d’initiation sont marquées par le mbomo, le « python », où un danseur tortille son corps devant la maison de culte, le mbandja, et laisse sur le sol des traces, comparables au cordon ombilical, qui seront effacées par les pas de danse des nouveaux initiés. Cette pièce est jouée en duo, ce qui est une innovation par rapport aux pratiques liturgiques. 

  13. Kombe guma est le nom donné à l’un des nombreux génies de l’Ombudi, celui qui doit pouvoir montrer le chemin à parcourir à travers le coucher du soleil (Kombe). C’est à travers le chant que les anciennes initiées guident les nouvelles. Les génies (mogezi) sont des êtres ambivalents, admirés et redoutés, qui guident comme ils punissent. De la relation avec le génie qui la possède, une femme comprendra et expérimentera le monde visible. Ces rites ont pour objectif « d’apprivoiser » son génie et de le transformer en un être protecteur. Ce morceau est accompagné d'une batterie moderne qui remplace les instruments percussifs traditionnels.

  14. Mitombo