SIKILIZA (le livret)
Musiques populaires de l'est du Congo
Sikiliza signifie ‘Ecoutez’ en kiswahili. Les enregistrements de ce CD expriment tous une réalité profonde des peuples de l’est du Congo : le désir d’être entendus. Ces enregistrements pourraient paraître comme une simple compilation de musique traditionnelle. En réalité, tous montrent et expriment le caractère populaire, contestataire et créatif de ces musiques qui sont bien autre chose que des traditions qui rappellent des temps anciens et révolus. Les peuples et les musiques ont été choisis pour montrer la diversité et la richesse des musiques populaires de cette région du Congo, où certains esprits étroits et mesquins essayent de faire croire qu’il n’y aurait aujourd’hui plus place que pour les conflits entre groupes humains. En réalité, et depuis toujours, les agriculteurs, les pasteurs et les chasseurs collecteurs de cette région ont interagi pour produire une culture originale et diverse. Mieux, ces peuples ont intégré ou réinterprété des éléments musicaux qui leur étaient étrangers, par l’intermédiaire de la radio et des moyens de communication. Cette sélection est un choix parmi de nombreuses possibilités. Nous avons cependant essayé de sélectionner de la musique populaire qui n’était pas encore très connue et qui représentait quelques-unes des principales traditions de la région. L’ignorance, l’incompréhension et ce qu’il faut bien appeler une forme de surdité musicale (ou de racisme ?) vis-à-vis de ces peuples, qui sont aussi loin des circuits commerciaux et de leurs modes induites, ont maintenu ces cultures dans le carcan étroit et figé des musiques dites folkloriques. La réalité est pourtant très différente. Les jeunes Congolais ont réussi à faire évoluer les répertoires traditionnels en adaptant les instruments aux exigences d’une musique qui devait sonner plus moderne. C’est à travers les chants qu’ils contestent et critiquent les traditions. C’est aussi le moyen que toutes les générations utilisent pour exprimer leur désespoir et leurs critiques sur le monde qui les entoure. Les peuples de l’est du Congo subissent des convulsions politiques et guerrières depuis de très nombreuses années. La guerre civile qui sévit dans la région depuis le milieu des années nonante a saccagé le paysage humain de cette partie du Congo. La richesse, l’originalité et la diversité de la musique est sans doute un des patrimoines les plus importants de cette région. L’écouter, c’est entendre la voix de peuples qui survivent dans le chaos du monde à l’économie globalisée et où le poids de l’once d’or vaut plus qu’une vie humaine.
Les Zande habitent un immense territoire dans le nord du Congo, à la frontière du Soudan et de la République Centrafricaine. Une des institutions les plus importantes de cette société est la levée de deuil. C’est l’occasion de danser et de faire de la musique, presque toujours accompagnée de xylophones dont les Zande sont des experts. C’est aussi le moment où jeunes et moins jeunes peuvent ouvertement critiquer l’autorité. Le likembe, l’instrument à lames pincées répandu dans tout le Congo, est aussi employé dans des répertoires plus intimes qui évoquent volontiers les difficultés de la vie.
Les Lugbara vivent à cheval sur les frontières du Congo et de l’Ouganda. Un de leurs instruments les plus prisés est la harpe Adungu. Des groupes de jeunes l’utilisent pour faire de la musique dansante dans des bars où il n’y a pas d’électricité. Les thèmes musicaux sont inspirés de musiques entendues à la radio, et le contenu des textes est souvent fait de virulentes critiques à l’égard des traditions. Une des plus visées est la dot qui exige une quantité de bétail souvent impossible à réunir par le jeune et sa famille.
Les Logo jouent de la lyre pour leur fêtes où l’on boit de la bière. L’instrument est très présent en Afrique de l’Est, mais rare au Congo. Le répertoire a une base traditionnelle, mais s’est adapté pour produire de la musique instrumentale ou chantée pour des fêtes où se réunissent principalement des jeunes.
La musique des Mangbele fait partie de l’univers musical des Mangbetu. Le répertoire joué par les jeunes a toutefois évolué à la suite de la demande de musiques de divertissement plus modernes. L’instrument le plus utilisé dans ce contexte est le likembe dont l’ambitus et l’accord ont été étendus. L’importance de la sonorité naturelle de l’instrument, qui donne un léger effet de vibrato lorsqu’on le bouge en jouant, a aussi été amplifiée pour sonner d’une manière similaire aux guitares électriques des musiciens des villes qui emploient beaucoup les chambres d’écho pour obtenir le son caractéristique de la musique moderne congolaise.
Les Malele habitent au centre d’une région d’extraction de diamants. L’enregistrement qui figure sur ce disque a été fait juste avant le début de la découverte des gisements. A l’époque, pour jouer de la musique qui sonne moderne, les jeunes se fabriquaient des guitares avec des planches issues de caisses et des cordes à linge. Le but était d’imiter les chants qu’ils entendaient dans les transistors qui diffusaient les groupes de Kinshasa. Cette musique est étonnante parce que le musicien joue sur un instrument à cinq cordes (qui donne une échelle traditionnelle) et parce que le chanteur est un jeune Pygmée Asua qui vivait dans un village Malele.
Les pygmées Asua sont les moins connus de cette région du Congo. Pourtant leurs chants ont des caractéristiques originales qui montrent qu’ils ont su intégrer leur musique avec celles de leurs voisins bantous, oubanguiens et soudanais. Les Kango, quant à eux, continuent de pratiquer un vieux répertoire de musique de sifflets qui se rencontre dans toute la région du nord-est du Congo. Ces peuples ont eu à souffrir, sans doute plus que d’autres, de toutes sortes de préjugés. Leur manière de vivre et leurs habitudes sont différentes de celles de la plupart des groupes de la région. Souvent traités comme des marginaux, ils sont ignorés des autorités et maltraités par les milices ou les soldats de tous bords. Il faudra pourtant un jour se souvenir que les polyphonies vocales des Efe et des autres Pygmées de l’Ituri sont un des objets musicaux les plus sophistiqués jamais produits par l’humanité.
La vie des peuples de la région a été sensiblement modifiée par les événements politico-guerriers récents, mais la création d’une réserve visant à protéger les okapis pourrait aussi avoir des conséquences importantes sur le mode de vie de quelques groupes comme les Ndaaka. Ceux-ci continuent à pratiquer la chasse et à piéger les esprits des animaux avec leurs arcs musicaux ; une interdiction possible de la chasse aura pour effet de faire disparaître ce répertoire.
Le territoire des Havu et des Shi, des bords du lac Kivu, a servi de base aux camps de réfugiés rwandais suite à l’opération turquoise de l’armée française en 1994. Les musiques de cette région font partie de la civilisation des grands lacs du centre de l’Afrique. Havu et Shi ont toujours pratiqué des répertoires satiriques et des chants populaires sur leurs cithares Lulanga. Récemment ce répertoire s’est transposé et s’est développé sur des guitares.
le CD: les titres
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