OBE  (le livret)
Musiques des Pygmées Efe et des Lese



Les Pygmées Efe habitent dans la région de l'Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo. Ils vivent au contact de groupes d’agriculteurs de forêt, les Lese et les Mamvu. Les Efe sont organisés en petits campements, qui peuvent compter jusqu'à une cinquantaine de membres, divisés de manière assez souple en quelques familles. Plus de la moitié de l'année, ils sont situés en bordure de la forêt à proximité des villages lese. L'association entre Pygmées Efe et villageois Lese-Dese, enregistrés sur ce disque, se marque par le partage de certaines institutions sociales, de rituels importants, d'une partie du répertoire musical et de la langue. Les différences entre ces peuples se situent dans leurs habitats respectifs et en partie dans les modes de subsistance.

Les chants efe se distinguent toutefois fondamentalement de ceux des Lese par l'exécution de polyphonies vocales très riches et admirablement structurées, caractéristique culturelle qui est partagée par tous les groupes pygmées que ce soit dans l'Ituri, en RD Congo ou ailleurs en Afrique centrale.

Les Pygmées ne dédaignent pas, loin de là, l'emploi d'instruments de musique. Les battements de main, des bâtonnets entrechoqués, des morceaux de bambou fendus percutés avec un bâtonnet et les tambours kuce sont leurs percussions usuelles.

Les ensembles de sifflets luma sont principalement joués par les Efe lors de fêtes collectives qui marquent des événements importants comme la fin de la circonscision. Les Efe utilisent aussi très souvent des harpes domu et des likembe. Ce dernier instrument peut même se retrouver dans certains campements loin en forêt. Les arcs à bouche bou sont employés par les hommes Lese et Efe avant la chasse, pour piéger l’esprit des animaux ou pour faire des interludes quand ils racontent des chantefables.


Obe livret 2
Les femmes Efe dansant près de la maison de réclusion ima

Les ensembles de trompes en écorce appelées mai sont joués lors des cérémonies de tore. Ce mot désigne la mort, le culte des ancêtres et l'esprit de la forêt. Ces trompes sont en règle générale jouées par les Efe. Chaque trompe donne une note et joue une formule rythmique qui s'imbrique avec celle des autres pour former une musique en hoquet*, en fait une polyphonie par polyrythmie. La plus longue mesure environ un mètre cinquante et la plus courte une trentaine de centimètres. Elles sont rigoureusement accordées selon une échelle pentatonique*.

Les instruments de musique employés pendant l'initiation ima des femmes sont des arcs musicaux à deux cordes appelés kitingbi posés sur des tambours faisant office de caisse de résonance.


Les enregistrements qui figurent sur ce disque ont été réalisés dans l'Ituri entre octobre et décembre 1987 quand les Efe avaient installé leur camp près des villages Lese-Dese de Ngodingodi et de Digbo.
Le titre du disque obe est un mot qui signifie à la fois chanter et danser en efe et en lese.

Ces enregistrements ont été faits peu avant les guerres et le chaos qui s’est installé dans cette région de la RD Congo.
Ces musiques sont le témoignage que les peuples de cette région ont infiniment mieux à offrir au monde globalisé et moderne que ce qui a été pillé dans leur sous-sol, pour spéculer sur le cours de l'or ou produire des téléphones cellulaires ou des appareils électroniques. Les effroyables massacres de civils, la destruction de ces peuples et de leurs cultures dans l’indifférence quasi générale, n’ont aucune justification. Ces musiques et ces cultures sont parmi les meilleures choses que l’homme peut offrir : un art élaboré qui est un patrimoine de l’humanité.



 
le CD: les titres

  1. Musique rituelle, ensemble de trompes tore 
    Ces cérémonies qu'on appelle aussi
    tore bapili, ont pour but d'introduire d'introduire l'esprit d'un défunt chez les ancêtres. Pour les Efe, Tore réside dans la forêt, il en est aussi l'esprit, il représente la force qui domine le monde de la forêt et lui donne son équilibre. L'enregistrement fait entendre un ensemble de huit trompes mai. Elles sont accompagnées par un tambour kuce et un morceau de bambou fendu et percuté. 

  2. Chant rituel, polyphonie efe
    Pendant toute la période de réclusion, les femmes du camp et du village se réunissent régulièrement pour danser autour de la maison d'ima, vêtues d'une ceinture de feuilles spécialement confectionnée pour ces occasions. Les Pygmées, ou les hommes du village, jouent du tambour et participent à la danse s'ils le désirent. Les paroles du chant comparent les jeunes initiées à des jeunes perroquets parce que ces oiseaux gardent longtemps leurs petits et le jour où ceux-ci volent, ils se réunissent en bande. « Ima e aku ikipa eliofu ». « Oh ma mère, il est presque sorti le perroquet ». Elles demandent où se trouvent leurs pères. Le groupe leur répond : « Efe odu malibu ». « l'homme est là où on joue au malice » (jeu de société lese). Elles doivent comprendre par là que leur père ne doit pas toujours les surveiller.

     
  3. Chant de collecte du miel, polyphonie efe
    Pendant la saison d'abondance du miel, qui dure deux bons mois, l'essentiel de l'énergie des Pygmées se concentre vers la collecte de cet aliment qui est sans doute le plus prisé de ceux qu'ils consomment. Il existe un vaste répertoire de chants et de danses qui concernent la collecte du miel. Certains la précèdent, d'autres l'accompagnent, d'autres encore se font au camp quand on y ramène le miel. Ce chant est exécuté par un groupe de femmes et d'hommes accompagnés par un
    likembe. Les femmes qui tiennent le rôle le plus en vue dans ce chant qui est un entrelacs de petites cellules mélodiques se développant sur une sorte de continuo fait par le chœur des hommes.   

  4. Chant rituel, arc à 2 cordes kitingbi 
    L'initiation des filles
    ima est commune aux Lese et aux Efe. Elle a lieu quand les jeunes filles deviennent pubères. À partir de ce moment, elles sont recluses dans une maison appelée « maison d'ima » pour une période variant d'un à plusieurs mois. La réclusion n'est cependant pas totale. Les jeunes filles sortent de temps à autre pour danser avec les autres femmes du village. Les garçons qui se réunissent pour observer ce qui se passe ou qui approchent trop la maison d'ima se font poursuivre avec des fouets par les femmes. Pour éviter d'être fouettés, ils doivent fournir ce que les femmes leur demandent, le plus souvent de la nourriture. Chaque soir, les femmes se rassemblent dans la maison d'ima pour chanter. Ce morceau alterne des chants accompagnés par l'arc musical kitingbi, qui joue des formules rythmiques en forme d'ostinato* se modifiant d'un chant à l'autre. Des parties instrumentales alternent avec les parties chantées.

  5. Arc à bouche bou
    L'arc à bouche bou, de très grande taille, est fait d'un arc en bois dur et d'une corde en raphia. Il mesure plus ou moins deux mètres de long. La corde passe entre les lèvres du musicien. Elle est frappée avec un petit bâtonnet très fin. Le musicien fait varier le volume de sa bouche pour modifier le timbre et la résonance des harmoniques.

  6. Arc à bouche bou 
    Ce morceau d'arc à bouche
    bou est joué par les hommes lorsqu'ils reviennent de la chasse. Quand celle-ci a été bonne, les soirées se prolongent et les hommes y racontent des histoires de chasse et aussi des chantefables qui parlent des animaux de la forêt. Ce morceau combine les variations de timbre avec une structure rythmique très marquée par la frappe du bâtonnet sur la corde. 

  7. Ensemble de sifflets luma 
    Cet ensemble de sifflets est joué par huit Efe accompagnés d'un groupe de chanteurs et des percussionnistes. Le nom
    luma provient du bois servant originellement à les fabriquer, mais le plus souvent, ils sont en bambou. Chaque sifflet produit une note et une figure rythmique qui peut varier produisant une musique en hoquet. L'échelle de l'ensemble est pentatonique. Cette musique se joue au moment la circoncision et lors des fêtes qui clôturent ce rite. Dans ce cas, les sifflets luma sont toujours accompagnés par un groupe de chanteurs et un ou deux tambours. Les mélodies sont une figuration des chants.

  8. Chant de fête - Lese / Efe
    La période de l’année où les Lese et les Efe sont proches est l’occasion de nombreux événements festifs importants qui ont lieu à différents moments : fin de la circoncision, levée de deuil, réjouissances collectives liées à de bonnes récoltes ou à de bonnes chasses. Ce chant lese accompagné par des Efe est une musique de bienvenue destinée aux autorités locales à l’occasion d’une fête importante liée à la pleine lune. Cette musique accompagnait aussi certaines fêtes officielles de l’État zaïrois dans la région. La forme du chant est de type responsorial où un soliste dialogue avec un chœur.


  9. Chant de fête - Lese / Efe 
    Ce chant qui oscille entre une forme polyphonique et responsoriale est joué pour célébrer une fête qui clôture les échanges de produits des champs et de la chasse entre les villageois Lese et les Pygmées Efe. Le chant est mené par un soliste qui interagit avec un chœur chanté par des Pygmées Efe. Des chants de ce type à caractère mixte sont assez fréquents dans la région de l’Ituri lorsque les villageois et les Pygmées interagissent dans des musiques collectives.


  10. Harpe domu Instrumental
    Cette pièce jouée sur une harpe
    domu, est un moment de pur divertissement joué par un jeune musicien efe qui cherche à montrer sa maîtrise de l’instrument. Le morceau combine plusieurs thèmes mélodiques qui peuvent accompagner des chants dont les thèmes sont connus de nombreux Efe.

  11. Harpe domu et likembe - Instrumental
    Cette pièce est une improvisation jouée par deux musiciens s'accompagnant de la harpe à cinq cordes
    domu et d'un likembe. La harpe joue un ostinato sur lequel s’appuie le joueur de likembe qui improvise des variations. 

  12. Chant et harpe domu
    Ce morceau alterne une partie instrumentale à la harpe domu avec une partie où le musicien est accompagné d’un groupe de chanteurs efe. Une soliste et un chœur d’hommes dialoguent dans un style similaire à celui des chants lese. 

  13. Chant et harpe domu 
    Ce chant polyphonique est chanté sur des syllabes sans signification. Une harpe
    domu produit un bourdon en jouant un ostinato sur lequel s’appuient un groupe de femme et d’hommes efe. Ce morceau est un chant de réjouissance à l’occasion d’une bonne récolte de miel. Les femmes sont réparties sur deux voix avec du yodel*, les hommes chantent un continuo sur deux lignes de basse qui servent d’assise aux voix de femmes. 

  14. Duo de likembe - Instrumental
    Deux Efe improvisent avec des
    likembe. Le premier instrument a une caisse de résonance en forme de boîte parallélépipédique où sont attachées les lames, dont l'une est détendue pour obtenir un léger bourdonnement quand elle est pincée. La caisse de résonance du deuxième likembe est constituée par une petite calebasse fixée par un bâtonnet dans la table d'harmonie. Le musicien provoque une sorte d'ondulation du son avec les mouvements de va-et-vient qu'il fait avec la calebasse, pour la placer contre son ventre ou l'en retirer.

  15. Chant et likembe
    Le musicien est un Efe handicapé qui passe l'essentiel de son existence dans un village lese. À chaque retour de ses proches, il manifeste sa joie de les retrouver en chantant et en s'accompagnant d'un likembe. Une femme l'accompagne avec des battements de main.

  16. Chant avec harpe domu et likembe 
    Ce chant, accompagné d’une harpe
    domu et d’un likembe, est joué par un groupe d'Efe pour se divertir à l’occasion d’une récolte de miel abondante. Les parties solistes sont chantées dans un style où le yodel est assez présent. Les instruments accompagnent le chant polyphonique et jouent essentiellement un ostinato. Ce chant donne à entendre une facette de la musique efe qui intègre des instruments de musique à la complexité de la tessiture polyphonique des voix.