Elijah Madiba
"Ramener les musiques sur les lieux où elles ont été enregistrées (...) "
Les collections conservées à l’International Library of African Music (ILAM) sont depuis plus d’un demi siècle une référence pour les musiques traditionnelles d’Afrique.
A partir des années 1950, Hugh Tracey, et plus tard son fils Andrew, ont constitué une remarquable archive d’enregistrements de musiques de l’Afrique subsaharienne. Ces enregistrements, initialement publiés dans une collection de 218 LP (Sound of Africa series), sont toujours disponibles sous différents formats à l’ILAM situé à Makhanda (Grahamstown) en Afrique du Sud. Ces magnifiques documents d'archives, sont aujourd’hui numérisés et étudiés, mais prennent aussi le chemin du retour vers leurs lieux d’origine.
Rencontre avec le gestionnaire des archives sonores de l’ILAM, Elijah Madiba.
Colophon - Gérer un fond d'archives sonores aussi prestigieux que celui de l'ILAM …
Ce n'est pas n'importe quel job ?
Elijah Madiba - En 2002, j’étudiais et je travaillais à Port Elisabeth. J’étais ingénieur résident à temps partiel dans un studio. Un jour en allant l’université, une secrétaire me montra une annonce dans un journal annonçant une offre de travail. Regardes me dit-elle, il y a une offre de travail qui pourrait t’intéresser. J’ai postulé et obtenu le travail.
Je suis ingénieur du son de formation. J’ai aussi un master dont la formation demandait de jouer d’un instrument de musique et d’étudier la théorie musicale. Je jouais de la guitare classique. Aujourd’hui je n’en joue plus, je joue de la guitare basse. Avant d’aller à l’ILAM, je n’avais jamais joué d’instrument traditionnel, sauf du tambour. Je chantais dans le chœur de l’université Nelson Mandela et j’y jouais aussi du tambour, c’est le seul instrument traditionnel que je jouais avant d’aller à l’ILAM. Aujourd’hui, je joue un certain nombre d'instruments que j'ai appris à jouer avec Andrew Tracey, ici à l'ILAM. Je suis dans deux groupes où je joue de la guitare basse et chante des ‘backing vocals’. Le premier groupe s'appelle "Amalahle" ce qui signifie braises. Les braises qui maintiennent le feu. On y joue essentiellement du jazz sud-africain et de la musique pop. Dans l’autre groupe appelé "Nia collective" - Nia signifie but en Swahili - nous jouons nos propres compostions qui sont très variées. Je suis le leader de ce groupe et le principal arrangeur des chants.
Colophon - ... Mais les archives dont vous avez la gestion sont principalement constituées d'enregitrements de musiques « traditionnelles » ?
Elijah Madiba -Aujourd’hui, avec les étudiants de l’université de Rhodes de Makhanda où j’enseigne, je me consacre essentiellement aux musiques traditionnelles. Depuis que je suis à l’ILAM, j’ai appris à jouer différents instruments traditionnels. Nous avons un ensemble où je fais jouer du marimba (xylophone) aux étudiants. J'enseigne aussi les flûtes de pan nyanga du Mozambique et d'autres intruments traditionnels. Nous jouons des chants modernes sur les instruments traditionnels. Cela fait partie d’un cours d’ethnomusicologie appelé ‘Instrumental music studies’. L’objectif est d’exposer les étudiants aux musiques qu’ils étudient. Nous essayons de confronter les étudiants aux musiques traditionnelles de manière à ce qu’ils développent un goût pour elles. Nous n’insistons pas trop sur la pratique, mais ils doivent expérimenter quelques styles de musique. A la fin de chaque semestre les étudiants donnent un concert. Nous utilisons les archives de l’ILAM comme point de référence pour choisir des chants à étudier. Ensuite nous les analysons, pour comprendre leur structure.
Colophon - ... Des structures traditionnelles très différentes de ce que le public – et vos étudiants – rencontrent habituellement ?
Elijah Madiba - Les Nous sommes tellement habitués aux échelles occidentales que nos oreilles y sont accordées. C’est un travail important pour une personne qui ne connaît qu’elles de s’en libérer. Pour connaître et apprendre les échelles traditionnelles cela prend du temps. Pour que l’oreille s’y habitue, il faut égelement du temps. Prenons par exemple, les mbira du Zimbabwe et les xylophones timbila du Mozambique. Les notes paraissent mal accordées. Les personnes qui sont habituées au système occidental pensent réellement que les instruments sont mal accordés ! Il faut enseigner et dire que c’est comme ainsi que cela doit sonner. C’est en écoutant, et en jouant ces musiques, que cela cesse d'être un problème.
Colophon - et qu'en est-il du timbre et des bruiteurs ?
Elijah Madiba - J’ai joué du marimba pendant un certain temps. Avec les marimba que nous avons ici, nous enlevons les bruiteurs. Cependant je dis au gens que cela doit normalement sonner comme avec les bruiteurs. Pour les musiciens traditionnels, en l’absence des bruiteurs, il manque quelque chose. C’est le son qu’ils préfèrent. Les bruiteurs maintiennent le son plus longtemps, ils donnent une sorte de continuité au son. D’une certaine manière c’est ce qu’on retrouve dans les musiques modernes où les musiciens font beaucoup appel à la réverbération et à l’écho.
Xylophones timbila des Chopi du Mozambique. Musée de l'Ilam, Grahamstown © D.Demolin
Colophon - Qu'en est-il de l’ILAM de nos jours ?
Elijah Madiba - Malgré des difficultés de financement, nous continuons à travailler. Au temps des Tracey, l’activité principale était consacrée aux enregistrements et aux collections. Maintenant, il y a un changement. Les musiques ont été collectées et archivées mais qu’en faisons nous ? Une des raisons pour lesquelles j’ai été engagé à l’ILAM était de passer de l’analogique au digital, de manière à rendre la musique plus accessible.
Une autre chose que nous faisons à présent est ceci : Hugh Tracey a souhaité, à un moment, pouvoir ramener les musiques sur les lieux où elles ont été enregistrées. Ceci parce qu’après un certain temps, les gens peuvent ne pas connaître ce qui se faisait dans le passé. Hugh Tracey n’a jamais eu la possibilité de le faire, mais c’est ce que nous faisons maintenant avec le programme de rapatriement des musiques. Nous retournons aux endroits où elles ont été enregistrées, pour ramener les musiques originales 1. Bien sûr nous le faisons sous forme digitale, parce que cela en rend l’accès plus facile. Si nous ne pouvons pas retourner sur les lieux d’enregistrement, nous essayons de trouver des personnes qui s'y rendent en leur demandant de les transmettre. C’est un des grands points de notre travail aujourd’hui. L’autre chose sur laquelle nous insistons est l’étude de ces musiques. C’est la raison pour laquelle nous sommes investis dans le programme d’ethnomusicologie à Rhodes. La direction actuelle de l’ILAM met l’accent sur la recherche et nous accueillons des étudiants qui viennent étudier les ressources de l’ILAM.
Nous essayons de faire de l’ILAM un lieu vivant et pas seulement un endroit où les musiques sont archivées. Pour le moment nous avons beaucoup de demandes de DJ anglais qui payent pour avoir accès à la musique, pour faire des samples et de leur musique. Des compagnies telles "Beating heart music", basée à Londres ont accès aux musiques de l'ILAM pour faire leurs compilations 2. Ceci parce que la musique africaine est assez à la mode un peu partout. L’ILAM est ainsi devenu une ressource pour ce type de projet et cela permet de continuer à financer nos propres projets.
Nous avons aussi des musiciens locaux à qui nous disons ce qu’est l’ILAM et nous les encourageons à faire de la musique. Beaucoup de poètes Xhosa me disent devoir passer par des musiciens hip-hop pour créer leurs rythmes, parce qu’ils n’ont pas accès aux anciens chants. Je leur donne accès à ces chants et cela marche très bien. Ils peuvent ainsi travailler leurs propres rythmes. Ce sont toutes ces choses-là que nous faisons pour rendre ce lieu accessible. Le programme de rapatriement des musiques est essentiel, avec comme ligne conductrice, savoir pour qui nous faisons cela et rendre ces musiques accessibles. Il y aura aussi bientôt un site web pour accéder à ces archives musicales.l
Propos recueillis par Didier Demolin
(traduit de l'anglais)
Janvier 2020 © Colophon / DD
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1. Voir à cet effet la vidéo sur YouTube : Lost Songbook – Returning Hugh Tracey’s recordings to Kenya (Part 1 CHEMIROCHA).
2. https:/beatingheart.bandcamp.com
Crédit photo: ©Ilam 2020, Didier Demolin, Colophon. |
Le "Catalogue" de Colophon Records comprend plusieurs CD de musiques traditionnelles d'Afrique subsaharienne dont des enregistrements rares réalisés par Didier Demolin au Congo RDC (Mafili, Sikiliza, Obe). Sur ce site également, dans la rubrique "Documents", découvrez l'histoire mouvementée du "District Six" et des Townships d'Afrique du Sud.
Bannière utilisée pour cette page (détail):
Danseurs Intore à Butare au Rwanda (1981 © E.P. Colophon).
En 1961, la cour du roi tutsi n'était plus et la musique qui lui était réservée n'allait plus jamais être entendue comme sur ces enregistrements historiques, réalisés en 1952 à la cour par le pionnier Hugh Tracey. Ceux-ci nous donnent un témoignage rare de ce lieu de pouvoir absolu et de la belle musique qui s'y jouait, mettant en vedette certains des meilleurs ensembles de batterie, des chansons d'une grande intensité et des ensembles de cors étranges. (voir ci-contre le CD réédité).