DA'ANGW  (le livret)
Chants des Iraqw



Les Iraqw vivent dans le centre-nord de la Tanzanie sur un haut plateau situé entre le lac Manyara et le lac Eyasi. Ils sont environ un demi-million et parlent une langue couchitique. Leurs voisins parlent des langues complètement différentes : les Mbugwe et les Nyiramba parlent des langues bantoues, les Datooga une langue nilotique et les Hadza une langue à clic non classée. La région se caractérise également par une grande variété de modes de vie économiques. Les Iraqw sont des agriculteurs et élèvent du bétail, comme les Mbugwe et les Nyiramba, les Datooga et les Maasai sont des éleveurs de bétail nomades et les Hadza sont des chasseurs et des cueilleurs traditionnels. Pendant des siècles, ces cultures se sont influencées tout en gardant leurs propres particularités.

Le chant dans la société Iraqw
Le chant fait partie de la vie Iraqw dans de nombreuses situations. Dans les bars, on peut souvent chanter. De nouveaux chants sont faits pour se souvenir des situations présentes et passées qui sont des moyens importants pour conserver l'histoire des Iraqw. Les chants font référence à des événements collectifs (chant 7). Ils peuvent aussi parler d’événements historiques, de différentes importances (1 & 10). Les chants ne racontent cependant pas explicitement des histoires. Les phrases sont souvent non connectées entre elles et ne font référence qu'à des événements spécifiques ou à des noms particuliers. C’est un moyen pour les Iraqw de se souvenir de ces événements. Le contenu des chants peut par conséquent être répétés ou chantés dans des ordres différents selon les circonstances.

Le travail de la terre, comme d'autres travaux collectifs pénibles, est souvent accompagné par le chant (3 & 4). Après un travail communautaire, les Iraqw font la fête pour célébrer le travail accompli. Au cours de ces occasions, toutes sortes d'expressions culturelles peuvent être exprimées. La fameuse et impressionnante poésie slufay où les poètes s’engagent dans un duel improvisé de girayda peut être interprétée (Beck & Mous 2014). Les femmes chantent ayla ou sibeeli (9) qui a une structure similaire d'échanges improvisés entre les chanteurs principaux en alternance et le public qui se joint à un refrain. Lors des fêtes, et surtout des mariages (5), le public danse sur différents types de chants. Les hommes avec leurs bâtons et les femmes sautent en rangs ou forment un cercle. Dans la poésie, les chants et les danses il y a ceux qui sont typiques des hommes et ceux des femmes, mais ces divisions n'excluent jamais l'autre sexe. 

Musique Iraqw
Pendant les grandes festivités, il peut y avoir des tambours qui accompagnent les chants. Ce sont les jeunes filles qui tambourinent. Elles le font en se mettant à genoux sur un mortier posé de côté d'elles sur le sol. Elles tendent leur jupe de cuir avec leurs genoux et frappent avec des bâtons improvisés en utilisant le mortier comme caisse de résonance. Traditionnellement, il n'y a pas d'autres instruments chez les Iraqw. L’auditoire utilise les battements des mains et des bracelets pour le rythme. De toute évidence, les temps modernes ont apporté des instruments de musique qui sont souvent utilisés à l'église. Les chanteurs populaires utilisent le seze pour créer leurs propres chansons Iraqw. Safari Ingi a produit un CD avec cet instrument.
(http://www.andreakt.no/safari-ingi)

En plus des chansons plus ou moins figées, il existe des chants improvisés.
Le texte des chansons fixes n'est pas strict en termes d'ordre de phrases. Chaque chanson a un refrain après chaque phrase qui se compose entièrement ou partiellement de vocables, de belles syllabes sonores qui n'ont pas de sens, par exemple hiyohayohee. Fait intéressant, c'est différent pour chaque chanson. Ainsi, en chantant le refrain, les participants savent de quelle chanson il s'agit, sa mélodie et son rythme. Par conséquent, les chants peuvent être caractérisés et identifiés d’après ces lignes de refrain. Il n'y a pas d'autre façon traditionnelle de nommer les chansons.

La même structure s'applique aux échanges improvisés. Cette structure est également présente dans la plupart des arts verbaux des Iraqw. Des chansons sans refrain existent cependant dans les histoires. De nombreux contes populaires ont un ou plusieurs chants courts, parfois composés de deux ou trois phrases et contenant souvent des mots absurdes qui se veulent envoûtants. Les chansons pour enfants et les berceuses n'ont pas de refrain non plus.
ima daangw pays 142
Habitations Iraqw à Kwermusl

 
le CD: les titres

  1. Saygilo  (enregistré à Gehandu, 1987) 
    Cette chanson, très populaire parmi les Iraqw, fait référence à Saygilo, devin et guérisseur, faiseur de pluie et leader bien connu qui a vécu dans la seconde moitié du XIXe siècle. Tous les groupes du nord de la Tanzanie se réfèrent à lui. Il a voyagé parmi de nombreux groupes ethniques différents étant lui-même d'origine Datooga. Le chant relate la compétition entre deux leaders spirituels: Beea et Saygilo. Ce sont deux hommes riches et influents avec une médecine très puissante, tous deux des faiseurs de pluie célèbres. Beea vit dans la région montagneuse où il pleut beaucoup. Beea a tracé une ligne imaginaire à l'aide de son médicament, une frontière pour la pluie. De cette façon, il veut garder la pluie pour lui. Saygilo n'est pas impressionné et prédit que le maïs de sa région poussera grâce au vent. Et c'est ce qui s'est passé. La récolte dans la région de Saygilo a été plus importante que jamais, seul le maïs est resté court, assez court pour que les poulets puissent le récolter. De sources allemandes, nous apprenons que les premières puissances coloniales avaient des relations avec les fils de ces deux hommes puissants. Gidamowsa, le fils de Saygilo a été pendu – pour l'exemple - par les Allemands lorsqu'il a refusé de payer l'impôt.


  2. Bumbunaysa  (Kwermusl, 2016)
    C'est une chanson très populaire pour remercier les filles qui ont puisé l'eau du puits pour préparer la bière que l'on boit à la fête où la chanson est jouée. 

     
  3. Dooslee  (Mbulu, 1987)
    Cette chanson de travail pour creuser est chantée par les frères John et De'eema Qamlali de Gehandu. La chanson est généralement chantée par les filles lorsqu'elles sèment. Le refrain répété est
    o yaayoo dooslee, « o yaayoo laissez-nous travailler sur la terre » . La chanson évoque une nuit noire sans lune (l'heure de la fête); la mère araignée (symbole de fertilité et de Dieu); les enfants venant de la rivière où ils se sont baignés et où boit le bétail; la dernière pièce de la maison où réside le chat et le moineau qui saute le matin. 

  4. Gorimoko  (Mbulu, 1987) 
    Chantée par les frères Qamlali, cette chanson de travail accompagne le labour des champs à la houe. Elle parle d'une personne Gorwa, Gorimo. Les Gorwa sont un groupe voisin étroitement lié aux Iraqw. La chanson mentionne une fille qui doit se marier.


  5. Daangw duuxo  (Kwermusl, 2023)
    Les femmes adorent chanter ensemble. Cette chanson fait partie du répertoire des mariages traditionnels. La chanson parle de la future mariée, Laanta, et des garçons du quartier qui la taquinent.


  6. Piindo  (Kwermusl, 2016) 
    Les enfants chantent cette chanson lorsqu'ils chassent les gens de la maison (
    piindo signifie porte) à la fin de l'événement lorsque le nouveau-né reçoit un nom. 

  7. Majuma  (Mbulu, 1987) 
    Chantée par les frères John et De'eema Qamlali, cette chanson évoque Tatu et comment une femme insensée peut enfanter des fils comme des lions ou des hommes qui deviennent des personnalités importantes de la société. De manière moqueuse, la chanson raconte d'abord que Majuma doo Qwaray baptise des gens. Elle fait référence à ses activités de médecin traditionnel et aux bénédictions qu'il octroie et comment il tourne la tête d'un bélier. En fait, il s'agit de la conduite d'un
    pikipiki, une moto dont le volant est comparé aux cornes d'un bélier. Le chant évoque ensuite peut-être sa femme, ou sa fille, une certaine Sale qui était un peu folle, mentalement perturbée et qui a donné naissance à des lions. Le message étant qu'une femme peut être un peu folle mais cela n’enlève pas le fait qu'elle puisse encore vous donner des enfants et des fils pour perpétuer la famille. De plus, ces enfants peuvent être très capables comme en témoigne l'un des fils de Sale devenu secrétaire du village d'Endabesh...

  8. Sanya  (Kwermusl, 2016)  
    Sanya a été enregistré à la même occasion que le deuxième chant.


  9. Sibeeli  (Kwermusl, 2016) 
    Cette chanson est du genre
    sibeeli. La phrase répétée « bumbanaysaya » est également utilisée pour désigner cette chanson. Les chanteurs, tous ensemble, nous incitent à écouter la voix d'un lion qui grogne. Ils mentionnent aussi les filles aux cheveux longs et des gens qui se promènent.

  10. Slaqwaruse  (Mbulu, 1987)
    Chanté par John Qamlalay et intitulé « soldats », ce chant évoque des événements de la seconde guerre mondiale lorsque des Iraqw ont été conscrits et envoyés en Égypte, en Éthiopie et en Birmanie et comment ils pleurent ceux qui ne sont pas revenus. La chanson commence par évoquer Dodo qui était alors le chef des Gorwa. Les Gorwa sont apparentés aux Iraqw. Ils sont situés au sud et sont beaucoup moins nombreux. Dodo a aidé les Anglais à recruter des soldats pour la guerre. La chanson raconte comment ils se sont retrouvés sur un bateau pour arriver en Birmanie dans la nuit, au premier chant du coq. Les soldats rentrent chez eux le jour de Marie, probablement le 15 août, jour de bruine et de marché aux bestiaux à Geendi. Dodo est maudit parce que tant d'hommes ne sont pas revenus. La chanson exprime de la sympathie pour les pères bien connus tels que Beea et Akonaay qui ont perdu des fils pendant la guerre. Mais Bura est revenu. Bura a été contraint de devenir soldat parce qu'il n'avait pas payé ses impôts. Les hommes restés sur place ont été contraints de travailler dans les plantations de tournesol des Européens. La chanson mentionne l'un d'entre eux : Gopan. Le chant mentionne principalement les noms de Dodo, Misri ‘Egypt’, Bama (Myanmar), Beea, Akonaay, Bura et enfin Gopan.


  11. Mado  (Bashay, 1987) 
    Mado est la fille d'Aamí qui doit récupérer un bélier. Chant interprété par un rassemblement de personnes à Bashay au cours d'une répétition pour la fête nationale,
    saba-saba, le 7 juillet. 

  12. Ama Irmí  (Kwermusl, 2022)
    Chanté par Josephina Maaqa, l'une des meilleures conteuses de Kwermusl, l'histoire d'Ama Irmí est probablement l'une des plus populaires parmi les Iraqw. Ama Irmí est une sorte de monstre qui dévore toute la population mais, finalement vaincu, la vie peut recommencer.


  13. Kabay  (Kwermusl, 1987)
    Chaque ligne de ce chant, interprété par le médecin et devin traditionnel Gajeet Naman de Muray se termine par
    kabay, «il est dit». Kabay raconte des événements de l'histoire locale des villages de la région. Le chant mentionne les taureaux de Bifa Tarmo aux cornes pointues et les taureaux de la tribu Mbugwe. De nombreux personnages historiques y sont également mentionnés ainsi que la montagne protectrice Guwang, située près de la ville principale de Mbulu et du mont Kitoláy.