Musiques traditionnelles et décolonisation 
par Didier Demolin


Le passé des pays européens et de leurs anciennes colonies provoque aujourd’hui un questionnement sur de multiples aspects de cette rencontre. Plus d’un demi-siècle après la décolonisation politique, un autre temps semble arrivé, celui de l’évaluation de l’histoire des relations culturelles. La musique des autres n’échappe pas à ces débats, elle permet de discuter d’une des facettes du colonialisme culturel dont témoignent encore les nombreux préjugés sur les musiques des cultures non européennes.

L’ethnomusicologie comme discipline académique, avec sa dimension universitaire et son pendant muséologique est un point de discussion dans ce débat. La distinction entre ethnomusicologie, musique folklorique et musique populaire n’est pas toujours évidente et son positionnement vis-à-vis de ce qu’on appelle à présent la musique du monde ne l’est pas plus. Musique folklorique et populaire sont souvent considérées comme des musiques de seconde catégorie. La musique du monde englobe toutes ces dimensions, mais elle est clairement liée à l’industrie musicale, ce qui n’est pas sans conséquences. L’ethnomusicologie, n’arrive que tardivement dans le champ des études qui découlent de l’ethnologie, même si des pratiques et des publications qui relèvent de l’ethnomusicologie existaient bien avant le milieu du XXe siècle. Les sciences ethnologiques sont nées vers la fin du XVIIIe siècle, pendant la période des colonisations et les occupations européennes de territoires outre-mer. L’ethnologie concerne des études de synthèse et des conclusions à caractère théorique, construites à partir de descriptions ethnographiques. Les problèmes plus généraux sont abordés par l’anthropologie sociale et l’anthropologie culturelle. L’ethnologie a longtemps privilégié l’étude des communautés traditionnelles extra-européennes qui étaient considérées, dans une perspective évolutionniste comme des cultures primitives. Le champ de l’ethnomusicologie est assez large, il couvre à la fois les musiques traditionnelles de peuples de chasseurs cueilleurs, celles des cultures savantes de nombreuses civilisations non européennes et des musiques urbaines.

Le discours sur la décolonisation de l’ethnomusicologie s’accompagne souvent d’une mise en question de la légitimité des collections d’enregistrements et des collectes faites par des musées ou pour des éditions dans des collections de musiques non-européennes. Liée à cette question se pose celle du droit des auteurs et du statut de ces musiques, presque toujours de tradition orale. Les abus dans l’appropriation de musiques et d’instruments de musique sont au cœur de ce débat. Les instruments étant d’ailleurs souvent pris pour la qualité esthétique de leur facture plutôt que comme des objets qui produisent du son.

Le concept de musée et de conservatoire n’appartient pas aux cultures où les instruments de musique, les enregistrements et les instruments de musique traditionnels ont été recueillis. C’est souvent un argument pour affirmer l’importance de ces collections et avancer l’aspect sauvegarde de patrimoine qui a été fait par les musées. Un des principes de base de la colonisation a été de dire que "les indigènes" vivaient sur des terres qu’ils ne valorisaient pas et donc que ceux qui en exploitaient les richesses et les mettaient en valeur avaient le droit d’en profiter. C’est ce qui justifiait aussi leur appropriation. Ce principe a légitimé et justifie encore l’expulsion de populations de terres sur lesquelles elles vivaient depuis longtemps. De nos jours, ce qu’il convient d’appeler le colonialisme vert qui exclut des populations entières de leurs terres sous prétexte de sauvegarder la nature vierge de toute intervention humaine (encore un fantasme européen) prolonge ce principe, parfois même avec le soutien de l’UNESCO.

Pour la musique et les savoirs traditionnels les choses ne sont pas très différentes. Les musées auraient sauvé de la disparition des traditions musicales qui autrement auraient disparu. La réalité est en fait assez différente. Le contexte économique et la dépréciation de ces traditions ont effectivement fait qu’elles ont été de moins en moins pratiquées à certains endroits et dans certaines circonstances. Les missionnaires n’ont jamais apprécié les rites et les musiques qu’ils jugeaient contraires aux bonnes mœurs. Ils n’ont donc pas favorisé leur maintien et les ont même combattus lorsqu’ils le pouvaient. Aujourd’hui, les courants évangélistes qui diabolisent ces traditions poursuit cette destruction en se basant sur des arguments à peine différents de ceux de l’époque coloniale. Beaucoup de ces traditions musicales dépréciées se sont malgré tout maintenues, elles sont marginalisées ou on feint de les ignorer, mais elles existent toujours. 

Peu de personnes doutent de l’influence de la musique africaine sur les musiques urbaines et de nombreux courants musicaux au XXe siècle. Beaucoup de musiciens africains jouant de la musique populaire moderne n’ont jamais caché l’influence des musiques traditionnelles sur eux. Le grand musicien congolais Franco (TP OK Jazz) disait, à qui voulait l’entendre, que des riffs de guitare qu’il jouait s’inspiraient de répertoires de musiques traditionnelles de xylophone madimba ou de likembe. L’industrie musicale a toujours valorisé la musique moderne et largement ignoré les musiques traditionnelles considérées comme du folklore figé et attardé. En Afrique subsaharienne, en dehors de quelques exemples notoires, par exemple, les collections de rouleaux Edison d’Hutereau enregistrées vers 1910-12 et l’immense collection entreprise Hugh Tracey dans le années 1950, il y a finalement peu d’exemples de personnes qui ont fait la démarche de prendre ces musiques au sérieux, à savoir pour autre chose que pour faire des collections à archiver dans des musées. Le développement et le succès des musiques urbaines a de plus marginalisé celui des régions rurales dont les codes ne se sont jamais vraiment adaptés aux milieu urbains. Au Congo, l’absence de moyens pour jouer de la musique moderne a permit à la fantastique créativité des musiciens de développer des musiques modernes en y intégrant des instruments traditionnels, au besoin en les électrifiant (Konono, Kasaï All Stars...). 

Retour des collections
Le retour de collections d’objets vers les pays d’origine, n’est pas une question neuve. Au début de son régime le président Mobutu, du Zaïre à l’époque, réclama le retour des objets du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren au pays. La Belgique renvoya symboliquement quelques objets et proposa un projet pour constituer une collection ethnographique équivalente et la formation de zaïrois pour créer et gérer un Institut des Musées Nationaux du Zaïre (IMNZ). Le projet de coopération dura 20 ans et était presque achevé au moment de l’arrêt de la coopération belge en 1990. Les collections qui ont été constituées sont depuis peu exposées dans un vrai musée et non plus dans les réserves du parc présidentiel du Mont Ngaliema où elles sont restées longtemps suite aux atermoiements de la politique de la Belgique qui n’a finalement pas construit le bâtiment où sont exposés les objets. Il a souvent été dit que ces collections disparaitraient une fois aux mains des zaïrois ou des congolais puisqu’un musée n’est pas un concept africain. Rappelons quand même que ce sont les congolais qui ont préservé les objets du musée au cours des pillages à Kinshasa dans les années 90. Les quelques objets volés, dont le fameux masque Tshokwé Pwo, emblématique du musée, (qui n’a toujours pas été retrouvé) n’ont pas étés commandités par des zaïrois-congolais avides d’argent et ne sont certainement pas non plus dans un salon sécurisé et climatisé quelque part au milieu de la forêt équatoriale. 

Pour la musique, la diffusion, et donc la valorisation, des collections enregistrées a longtemps été un problème. L’argument avancé était que les zaïrois ou les congolais n’ayant pas de moyens pour écouter ces musiques, les publications n’étaient faites que pour les européens et que ces publications n’étaient pas donc pas nécessaires. Nulle mention de leur diffusion possible à la radio, il est vrai que ce n’était que des musiques traditionnelles. Lorsque dans les années 80, le PNUD décida de contribuer à la publication d’une série d’enregistrements de l’IMNZ, après de nombreuses discussions, il fut décidé que le meilleur support serait des cassettes audio, peu chères et auxquelles les zaïrois auraient plus facilement accès. Une série de 12 cassettes furent montées et éditées à l’IMNZ. Leur diffusion fut interrompue dans le chaos politique des années 90.

Séance d’enregistrement chez les Tetela du Sankuru au Zaïre, 1975. 
Mission IMNZ de Benoît Quersin. CD Tetela Vol 8 de l’Anthologie de la musique congolaise (Fmd 408).

La publication des archives musicales de l’Institut des Musées Nationaux du Zaïre, commencée en 1995 (3 CD publiés) fut interrompue par les changements dus à la transition politique au Congo. La plupart des enregistrements de la sonothèque de l’IMNC furent ensuite publiés dans une collection intitulée "Anthologie de la musique congolaise" qui présente des musiques de différents peuples congolais, enregistrées au cours de missions de terrain. Ce devait être dans un travail commun entre le musée de Tervuren et l’IMNC. Il y est à peine fait mention de la contribution du musée de Kinshasa. C’est donc en Belgique que ces collections furent publiées. Les enregistrements du musée de Kinshasa auraient pu être valorisés autrement, l’argument que les congolais n’ont pas les moyens pour écouter ces musiques n’est que partiellement vrai. Comme les musiques modernes urbaines, elles peuvent être copiées et diffusées de nombreuses manières. Les musiques traditionnelles étant un patrimoine commun et donc avec des droits collectifs la plupart du temps, cela n’impacte pas ou peu les musiciens. Un acte fort de décolonisation serait de permettre une large diffusion de ces patrimoines musicaux auxquels les congolais sont attachés, peu importe l’avis des européens sur la difficulté à les diffuser.

En Afrique du sud, l’International Library of African Music, située à Makhanda (Grahamstown), dépositaire de l’immense collection constituée par Hugh Tracey et son fils Andrew, a commencé des opérations de retour des musiques vers les lieux où elles ont été enregistrées1. La valorisation des musiques traditionnelles congolaises passera sûrement par des opérations similaires dans le futur.

La question des droits est indispensable à aborder mais elle est compliquée. Non pas parce qu’il serait difficile de donner des droits d’auteurs à un musicien traditionnel qui joue sa propre musique. Les choses sont un peu plus compliquées quand il reprend des répertoires traditionnels ou le concept de patrimoine collectif est dominant. A qui reviennent alors les droits ? C’est aussi difficile si les droits doivent être accordées uniquement à des musiques écrites, les musiques traditionnelles étant par essence de tradition orale. Il est absolument nécessaire de faire avancer le débat sur cette question, mais il est aussi important de tenir compte des sensibilités locales, pour donner à chacun ce qui lui revient et éviter l’opportunisme pseudo-désintéressé d’avocats et de défenseurs des sociétés traditionnelles qui souvent ne servent que leurs intérêts en manipulant des musiciens ou des associations locales. Un cadre juridique est nécessaire sur cette question, mais il est indispensable de le faire dans l’intérêt de ceux qui font la musique. Tant que leurs opinions et leurs intérêts n’auront pas été pris en compte on continuera à leur imposer des solutions de l’extérieur.

Incompréhension et préjugés
D’où viennent l’incompréhension et les préjugés sur les musiques non-européennes ? Dans leurs dimensions savantes, certaines musiques non européennes nécessitent une forme d’initiation, par exemple à des échelles, des timbres et des structures différentes. Les circonstances et les lieux où la musique est jouée peuvent être très différents des codes européens. Leur prestige ou leur rejet est souvent associé à la notoriété d’une civilisation particulière, mais leur compréhension nécessite une initiation à leur écoute et pour leur compréhension. L’accès à ces musiques peut être facilité par des publications spécialisées (les collections de musique traditionnelle des grands musées par exemple) et des concerts. La publication de travaux académiques destinés à un public plus large que celui du cercle restreint des universitaires est aussi un facteur important dans cette perspective, mais cela reste finalement encore assez, ou trop, rare. C’est ici que les ethnomusicologues, dont le rôle de passeurs est très important, entrent en jeu, tant qu’il ne s’agit pas de figer la musique des autres cultures dans des normes de correction et de bon goût. 

Le rapport à l’écriture et son opposition aux traditions orales est une dimension importante dans la question du colonialisme culturel. Il peut être pris dans une double dimension : d’une part dans une conception élitiste, une musique non-écrite aurait moins de valeur qu’une musique écrite et d’autre part la musique de tradition orale serait dénaturée si elle est transcrite. De nombreuses voix ont affirmé que la transcription des musiques traditionnelles serait réductrice et une forme d’occidentalisation des cultures étudiées. L’écriture musicale est certainement une pratique occidentale, mais cela n’a pour but que de rendre explicite ce qui est étudié et ne déforme en aucun cas la culture qu’on étudie. L’interprétation de ce qui est transcrit peut être erronée parce qu’il n’est pas tenu compte de critères pertinents de la culture étudiée, mais une note de musique jouée ou écrite ne change pas de nature. C’est plutôt donner la primauté à l’écrit ou aux échelles de la musique européenne qui est révélateur d’une forme de colonialisme culturel et c’est fort différent de l’idée de transcrire pour comprendre et analyser un répertoire musical. La gamme tempérée (que beaucoup croient naturelle en Europe) est une construction et une élaboration qui s’est progressivement implémentée autour de la renaissance. Les échelles indiennes, chinoises et arabes, pour ne citer qu’elles, sont aussi des constructions qui relèvent d’un savoir théorique et pourtant elles ne sont pas écrites comme l’est à présent la musique occidentale. 

Une superbe leçon de l’importance de la transcription musicale vient des travaux de Simha Arom qui a montré avec la transcription des polyphonies des Pygmées de Centrafrique que cela permet de comprendre leur structure et leur complexité. Au passage, cela aussi été l’occasion de mettre à mal les théories évolutionnistes où musiques de chasseurs cueilleurs équivaut à de la musique simple et primitive. La sophistication des polyphonies des pygmées a peu d’équivalent dans les cultures musicales du monde. La musique non-européenne transcrite n’est donc pas de la musique occidentalisée. La transcription est révélatrice pour la compréhension structurelle de codes musicaux souvent très éloignés de ceux des traditions européennes. Les tentatives d’extension du langage musical de la musique par les compositeurs contemporains, et leurs références fréquentes aux musiques traditionnelles, montrent les possibilités que celles-ci offrent pour l’utilisation de timbres et de structures nouvelles. 

Béla Bartók (1881-1945) en Anatolie, novembre 1936. © Muzikás - The Bartók Album - Hannibal / HNCD 1439.

Comprendre et valoriser
Au début du XXe siècle, Béla Bartók parlait de musique folklorique, là où d’autres parleraient aujourd’hui d’ethnomusicologie. Bartók est un des pionniers de la discipline, loin d’une ligne académique affirmée et sa position vis-à-vis des musiques traditionnelles est importante à connaître. Les préjugés, ou plutôt l’ignorance, des musiques qu’il a enregistré et étudié en Europe, en Afrique du nord et en Asie sont ceux qui ont longtemps prévalu et ne sont pas très différents de ceux qui existent toujours. Bartók résumait cette ignorance de manière on ne peut plus claire en disant : "Dans les cercles dits culturels urbains, le trésor incroyablement riche de la musique folklorique était totalement inconnu. Personne ne soupçonnait même l'existence de ce genre de musique". La révélation de Bartók pour la musique folklorique lui vint de l’audition d’une chanteuse de Slovaquie en 1904. Son autobiographie rapporte les conséquences de cette rencontre: "Je pris (...) conscience du peu d’intérêt qu’offraient les airs hongrois qui, considérés à tort comme de la musique populaire hongroise, étaient en réalité de la musique savante plus ou moins vulgaire". Bartók décide alors de privilégier une approche de terrain pour découvrir des musiques authentiques. Ceci le mènera de la Hongrie à la Roumanie, ses principales régions de collecte, en passant par la Slovaquie, l’Ukraine, la Bulgarie, l’Algérie et l’Anatolie. Son itinéraire de chercheur, de musicien et de compositeur lui donnent une position particulière dans le champ de l’ethnomusicologie et lui permettent de mettre, très tôt, en perspective la notion de tradition et de musique populaire. "... l’influence réciproque qui s’est exercée sans cesse entre les musiques populaires des divers peuples a engendré une richesse inouïe, une extraordinaire multiplicité de mélodies et de types de mélodies. « L’impureté raciale » ainsi obtenue est nettement avantageuse. (...) Vouloir se préserver de toute influence étrangère, c’est rétrograder ; bien assimiler ces influences, c’est offrir de nouvelles possibilités d’enrichissement ". On ne peut être plus clair sur le caractère dynamique et créateur des musiques du domaine de l’ethnomusicologie qui sont encore trop souvent considérées comme de vieilles traditions figées. Cet aspect est encore au centre des préconceptions négatives sur les musiques traditionnelles. Les remarques de Bartók peuvent être étendues à pratiquement toutes traditions musicales. Ce qu’il dit permet de voir la continuité entre des traditions musicales, leur maintien, leur renouvellement et leur évolution. La contribution de Bartók est remarquable à plus d’un titre. D’abord par l’immense travail d’enregistrement, de préservation et de transcription des répertoires musicaux traditionnels auxquels il s’est intéressé. Ensuite l’emploi de ses découvertes dans son travail de composition musicale montre qu’il ne s’agissait pas seulement de figures rhétoriques, mais d’un développement de son écriture musicale. Bartók a intégré les caractères musicaux des traditions qu’il observait dans la construction de ses œuvres et dans une démarche créatrice. Ici nulle forme de colonialisme, juste la démarche d’un esprit éclairé dans son travail de création.

Depuis l’époque de Bartók, de nombreux moyens d’enregistrer, de préserver et de diffuser la musique ont vu le jour, disques 78 tours, 33 tours long playing, CD et aussi vidéo et DVD, aujourd’hui le streaming (mais est-ce un réel progrès?). La circulation des musiciens et des citoyens s’est aussi beaucoup amplifiée depuis le début du XXe siècle. Sans conteste, les musiques qu’évoquait Bartók sont mieux connues grâce à ces supports, mais les préjugés à leur égard ont-ils changés ? C’est loin d’être sûr, on peut même suspecter une certaine forme de colonialisme de l’industrie musicale qui a marginalisé encore un peu plus les musiques traditionnelles qui sont une part importante du champ d’étude des ethnomusicologues. L’imposition des supports et des codes d’écoute par l’industrie musicale est une forme de colonialisme culturel plus active que jamais, ne fusse que par l’uniformisation de la vie musicale que cela impose. Les moyens audio-visuels de notre époque pourraient permettre de replacer ces traditions dans des dimensions plus adaptées à leur contexte et à leur préservation. Le prix et l’accessibilité de plus en plus aisée de ces équipements devraient enfin permettre aux musiciens non européens de diffuser et de préserver eux-mêmes leurs productions.

Comment décoloniser les esprits quand on parle des musiques traditionnelles? Faire reconnaître la contribution des musiques traditionnelles dans la diversité de la musique jouée dans le monde n’est pas aussi facile qu’il y paraît. L’impact du courant récent des musiques du monde (qui est déjà retombé comme un soufflé) bien qu’il ait ouvert de nouvelles perspectives pour les esprits curieux, n’en a pas moins été superficiel, un effet de mode conditionné par l’industrie musicale qui dès que le courant s’est essoufflé a redirigé son attention vers d’autres cibles.

Une première approche serait de prendre l’ensemble des musiques non-européennes au sérieux et pas seulement celles des grandes cultures de l’Asie. Tout ceci revient à une question d’éducation musicale. Sans vouloir dire ce qu’il faut ou non écouter, donner l’accès à ces musiques dans la durée au plus grand nombre serait déjà un grand pas avant. On peut espérer que sur ce point les musées européens reviennent vers une idée de formation et de diffusion de la connaissance et non à la valorisation commerciale de leurs patrimoines.

L’ethnographie est née à l’époque des colonies. La lutte contre les préjugés racistes pourrait être menée dès l’école en valorisant les travaux ethnographiques et les musiques d’ailleurs qui décrivent les sociétés rencontrées par les européens du temps des colonies. Par un juste retour des choses on pourrait alors mieux connaître des sociétés dont la connaissance se résume souvent à quelques stéréotypes. Ces cours pourraient avantageusement remplacer les cours de religion et de morale qui ne font finalement que focaliser les esprits sur des visions fermées du monde.

(Mise en ligne: décembre 2020) 

 


1. lire à ce propos, en ligne sur ce site, l'interview d'Adija Madiba, gestionnaire des archives sonores de l'ILAM - International Library of African Music - de Grahamstown (Afrique du Sud). 

Références 

Guillaume Blanc. L’invention du colonialisme vert : Pour en finir avec le mythe de l’Eden africain. Flammarion, 2020.
Jean Gergely. Béla Bartók, éléments d’un autoportrait. Paris, L’Asiathèque langues du Monde, 1995.

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Image utilisée pour la bannière de cette page (détail) 
Pêcheurs sur la rivière Bomokandi, un affluent de l'Uélé.  
Sur les rouleaux de cire enregistrés vers 1910 par A. Hutereau de la collection du Musée royal de l'Afrique centrale (Belgique) on peut entendre ce qui est sans doute le plus vieil enregistrement d'un morceau de musique pygmée (Efe) ainsi qu'un chant de pagayeurs de l'Uélé (Uélé maliba makasi, Uélé la grande eau) que le dessinateur Hergé évoquera dans Tintin au Congo
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